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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/198

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santes à travers des lieux presque infranchissables, les coups de feu échangés avec des ennemis cachés et invisibles, de plus des fièvres et d’autres maladies qu’on ne saurait éviter dans ces campagnes, surexcitent le soldat et le rendent impitoyable. Lorsqu’il en arrive à la lutte corps à corps, il n’épargne personne. « J’ai vu de mes yeux, disait cet officier, pendant la
Paysan montagnard cabardin.
destruction d’un aoule, sortir d’un sacle une femme enveloppée de son voile blanc, avec un enfant dans les bras. Un soldat la poursuivait… La pauvre créature courut jusqu’aux bords d’un rocher, s’arrêta, s’assit, serra son enfant contre elle, et s’enroula dans son voile… Le soldat l’eut bientôt rejointe, et, dédaignant de se servir de la crosse ou de la baïonnette, il lui allongea un coup de pied dans le dos… Les deux pauvres êtres roulèrent dans le précipice.

— Mais, dis-je au conteur, vous autres officiers, vous ne pouvez pas voir ces choses de sang-froid ?

— Non, certainement, loin de là, mais que voulez vous y faire ?

— Comment, qu’y faire ? mais arrêter vos soldats, faire une enquête… »

Il me répondit en souriant :


Cabardin à cheval.

« L’enquête serait peut-être possible plus tard. Quant a les arrêter, il ne faut nullement y songer, à moins de s’exposer a des insultes et quelquefois même à la mort.

— Cela n’est pas croyable !

— Pardon. Si vous jugez des rapports entre officiers et soldats en campagne et sur le champ de bataille d’après ce que vous avez l’habitude de voir aux revues, en temps de paix, vous êtes entièrement dans l’erreur ; la mêlée, les dangers communs nous rendent égaux. Je vais à ce sujet vous raconter de quelle confusion je fus couvert un jour, alors que, jeune encore, je venais d’être nommé officier. Nous nous trouvions dans un passage difficile, par une chaleur accablante ; près de moi un vieux soldat se rafraîchissait en buvant l’eau de sa gourde. Je mourais de soif, et, sans réflexion, je lui dis :

« — Frère, donne-moi à boire.

Il ne répond pas, continue à boire, et lorsqu’il eut vidé sa gourde jusqu’à la dernière goutte, il essuya ses moustaches, toussa et me dit :

« — Votre Honneur éprouve le besoin de se rafraîchir ; s’il en est ainsi, voici de l’eau toute fraîche.

« Et, savez-vous ce que le vieux coquin me montrait ? un ruisseau coulant dans un ravin, au-dessous de nous, à peu près a cent sagènes[1] de profondeur ! »


Cabardin.

J’espère plus tard, lorsque le temps et les moyens me le permettront, retourner dans ces montagnes. Je compléterai alors cette étude curieuse d’une société qui s’en va, et qui, depuis sa soumission définitive, se transforme tous les jours.

Dès à présent, Je pense qu’il y aura quelque intérêt pour le lecteur à savoir quelles sont les diverses tribus qui habitent le Caucase et le Transcaucase. Je les classerai d’après les types et idiomes qui établissent quelques différences entre elles.

A. Race kaztevel. Elle comprend : les Géorgiens, les Imérétiens, les Mingréliens, les Ghouriens, les Wannes, et nombre de clans obscurs et de sous-tribus non classées dans les géographies.

B. Race arménienne.

C. Race tscherkesse ou adighé : Cabardins, Schapsoughes et Natoukaïs ; Abbases, Djihètes, Oubijks, Abadzèkes, et autres tribus moins nombreuses, éparses dans les gorges de la chaîne principale, et dont quelques-unes n’existent même plus.

D. Race tschetschène : Nazrans, Ingouches, Gal-

  1. Cette mesure équivaut à deux mètres cent trente-trois millimètres.