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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/202

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Je l’ai visité pendant son emprisonnement dans la casemate du château de Méseb à Tiflis. Ses traits dénotaient une fatigue et une tristesse excessives : son sort se décidait alors en conseil de guerre, et personne ne pouvait, dire quelle serait la décision qui allait être prononcée.


La gorge du Darial. — Le mont Kasbek. — Route de Tiflis. — L’éboulement de la Béchennaïya Balka. — L’avalanche. — Le couvent abandonné. — Les Ossètes. — Leurs habitations. — Religion. — Les nouveaux convertis. — Le château de la reine Tamara. — Le monastère d’Ananour. — La fête de Saint-Georges à Mishet. — Tiflis.

La gorge du Darial produit sur le voyageur une sensation d’effroi et de tristesse. Des masses de granit, véritables colosses, semblent prêtes à vous écraser au passage ; elles s’élancent toutes droites vers le ciel ; nul vestige de verdure ne rompt la monotonie de leur teinte grise et sombre. D’épais nuages, lourds et humides linceuls, en dérobent à la vue la majeure partie, et c’est une rare exception lorsque les rayons du soleil parviennent à les percer : la pluie est souveraine dans ce défilé.

Deux cours d’eau font entendre leur murmure au pied du Darial : l’un au nord, l’autre au sud du passage. Le premier, le Térek, dont j’ai déjà parlé, traverse Vladicavcaz, puis, tournant à l’est, se dirige vers la mer Caspienne. L’autre, l’Aragva, coule vers le sud et va grossir le Kour (l’ancien Cyrus), tributaire de la mer Caspienne.

Comme le Térek, l’Aragva a sa source dans les glaciers du Kasbek, qui s élève au-dessus de la gorge, presque au centre, et forme les versants des deux bassins.

La grande route militaire de Géorgie, seule voie de communication entre la Russie et le Transcaucase, construite par les corps d’armée cantonnés dans le Caucase, longe le Térek et l’Aragva. Elle est d’une importance capitale pour ces deux contrées. Je citerai
Intérieur d’une maison du Caucase.
le passage suivant d’un rapport du général Knorring, le premier commandant en chef de l’armée du Caucase : il donnera une idée exacte de la valeur de ce travail gigantesque, des obstacles sans nombre et des difficultés presque insurmontables qui entravèrent l’accomplissement de cette œuvre cyclopéenne.

« Le Térek, écrit le général, est d’une rapidité extraordinaire. Il coupe le mont Caucase, dans toute sa largeur, en deux parties. La seule voie de communication, directe et possible, avec la Géorgie se trouve donc dans cet étroit défilé, resserré entre deux énormes rochers. Pour traverser le fleuve, non loin des frontières de la Géorgie, il faut, dans un espace de trente-cinq verstes, construire dix-huit ponts, qui ne pourront être établis que sur des traverses en bois reliant les bords opposés : le courant du fleuve enlevant et roulant dans son parcours des masses énormes de gros cailloux et changeant de lit chaque année, rend impossible tout autre mode d’asseoir les fondations. En certains endroits, le Térek se rapproche des rochers à un tel point qu’il n’existe plus aucun chemin sur ses bords : on est, pour ainsi dire, obligé de ramper sur une rive étroite, où les charrettes ont souvent de la difficulté à passer. »

Aujourd’hui, à la place de ce tableau désolant que traçait le général Knorring, le voyageur trouve une bonne chaussée, de beaux ponts et des stations, une route, en un mot, qui ferait honneur au plus habile ingénieur de l’Europe.

Cependant le Térek est bien loin de laisser trêve et repos à la chaussée. De temps à autre ses eaux grossissent, débordent, lavent et défoncent le talus en bien des endroits, mais on y remédie facilement, et les réparations nécessaires n’arrêtent guère les communications entre les deux contrées dont la gorge du Darial est le trait d’union.