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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/203

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Toutefois il faut signaler deux fléaux que n’ont pu jusqu’ici vaincre les efforts du génie humain : les avalanches et les éboulements. L’habitant des plaines et des steppes ne saurait se rendre parfaitement compte de ce qu’ont de terrible ces phénomènes trop connus du montagnard.

Il n’est personne dans le pays qui ne parle avec effroi de l’avalanche périodique du Kasbek et de l’éboulement de la Béchennaïya Balka (Ruisseau enragé), qui se produisent dans le Darial. Voici ce que raconte sur l’éboulement un témoin oculaire.

À une petite lieue du relais de poste de Kasbek coule un mince filet d’eau. Ordinairement on l’aperçoit à peine, filtrant entre les cailloux, et se versant dans une cavée, où il forme abreuvoir : de là il se jette perpendiculairement dans le Térek. Son cours est à peu près d’un kilomètre. Ses sources sont à une hauteur de huit à neuf mille pieds. Ce ruisseau, à l’époque des pluies fréquentes du printemps, grossit avec une rapidité foudroyante. Ses eaux deviennent troubles et prennent une teinte noirâtre : un bruit sourd, augmentant d’instant en instant d’intensité, finit par assourdir les environs de son fracas. À ce signal bien connu, prélude ordinaire du drame, les habitants accourent de tous côtés.


Gorge du Darial.

Un jour, je suivis la foule, et j’assistai à ce spectacle émouvant. Les eaux, entièrement noires, avaient l’aspect d’un immense cloaque de boue. Tout le monde attendait dans un silence de mort, qui, tout à coup, fut interrompu par des éclats affreux, semblables à ceux du tonnerre et qui se répercutaient de rochers en rochers. La force du courant diminuait sensiblement : tout à coup des enfants s’écrièrent : «  Le voilà ! le voilà, il arrive ! » La foule se refoula d’un même côté. Une masse noire, immense, coulait à nos pieds, entraînant pèle-mêle d’énormes blocs de rochers, qui s’entre-choquaient et tournoyaient les uns par-dessus les autres, et disparaissaient, avec un sourd mugissement, au fond du ruisseau.

Placé sur un tertre élevé, je suivis à pas lents son cours jusqu’à l’endroit où il allait tomber dans le Térek. Le torrent s’arrêta pendant quelques instants… puis, ses eaux se ruant en immenses tourbillons, escaladèrent la digue de boue et de rochers, et se précipitèrent dans l’abîme avec un bruit effroyable.’Voici l’explication de cet étrange phénomène. Le ruisseau s’est creusé un lit profond dans un schiste d’ardoise. Il entraîne, en descendant des sommets où il prend sa source, des monceaux et des blocs de pierres, qui s’amoncellent par endroits et forment de fortes digues. Au commencement il ne trouve qu’un étroit passage à travers les fissures qu’il rencontre dans ces mas-