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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/23

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contusions. Nous rentrâmes moulus et découragés : car le cinquième jour, depuis notre départ de Gouïn, était arrivé, et nous avions acquis la conviction que nous ne verrions pas Bafoulabé ce jour-là, et qu’il y avait encore d’autres barrages devant nous.

Le 5 décembre, j’envoyai le canot porter un chargement à environ quatre lieues, puis, à son retour, nous partîmes pour nous rendre à ce nouveau campement. La route par terre fut moins difficile que d’habitude ; nous campâmes vers quatre heures et demie, et on s’occupa de brûler les herbes. En cet endroit la montagne baignait sa base dans le fleuve, et, devant nous, on entendait le sourd grondement d’un nouveau barrage.

Pendant la nuit, notre feu s’éteignit, et les hippopotames sortirent à moitié de l’eau ; mais en voyant tant de monde, ils se rejetèrent dans le fleuve, et leur bruit réveilla une partie des hommes.

Les journées du 6 et du 7 furent employées à traverser, à grand renfort de bras et de touline, une série de rapides que je désigne sous le nom de barrages de Malambèle, village ruiné dont nous retrouvâmes des traces sur la berge et sur les bancs du fleuve. Le courant était violent et l’opération fort délicate, les berges étant loin d’être unies comme un chemin de halage. Il arriva même, à un moment où trois des hommes allaient tourner une roche, que le quatrième, qui s’arc-boutait pour maintenir le canot, fut entraîné et tomba à l’eau. Aussitôt le canot vint en travers et fut entraîné avec la rapidité d’une flèche. M. Quintin et moi étions seuls dans l’embarcation. Je tenais le gouvernail ; nous essayâmes d’armer l’aviron pour redresser le canot, mais la force du courant ne le permit pas.


Chute du Sénégal dans le Bambouk (le 4 décembre). — Dessin de Émile Bayard d’après l’album de M. Mage.

Nous descendîmes le rapide, et voyant que nous allions directement nous briser sur les roches, je n’eus qu’une ressource, ce fut de me jeter en dehors du canot, pour étaler, comme disent les marins. Le choc fut bien diminué de violence, et nous pûmes arrêter et reprendre l’opération.

Le 7, après de rudes labeurs, j’écrivis sur mon carnet ces mots :

« Au milieu de ces fatigues, un caïman a essayé d’attraper nos bœufs pendant qu’ils buvaient. Depuis Gouïna, c’est le premier que nous voyions ; serait-ce un indice que les barrages sont terminés et que nous approchons enfin de Bafoulabé ? »

En dépit de cet espoir, nous eûmes encore trois barrages à franchir, dont un présentait une chute vertical d’un mètre cinquante centimètres.

Enfin, le 9 décembre, je partis en canot, et, après avoir reconnu un dernier barrage qui devait présenter peu de difficultés, j’aperçus devant nous le fleuve se séparant en deux branches : c’était son confluent avec le Bakhoy, c’était Bafoulabé ! J’atterris sur la rive, et je remontai à pied par des sentiers d’hippopotames, jusqu’à ce que je pusse bien voir cette pointe tant désirée.

Il était temps, au reste, que cette bonne nouvelle vînt ranimer le courage de nos hommes, car les choses allaient mal. Sous l’empire de la fatigue, les caractères s’aigrissaient de plus en plus ; une animosité