Aller au contenu

Page:Le Tour du monde - 17.djvu/252

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Le 24 août 1864, dit mistress Ewbanks, la ferme où je résidais sur la petite rivière Bleue, près des Narrows[1], fut attaquée, dévalisée, brûlée par les Indiens, et moi-même, et mes deux enfants, avec mon neveu, et miss Laura Roper, âgée de seize ans, nous fûmes emmenées captives par les Chayennes. Le plus âgé de mes enfants avait trois ans, le plus jeune un an, mon neveu six ans. Les Indiens me conduisirent d’abord vers le sud. Nous traversâmes la rivière Républicaine, et de là, marchant vers l’ouest, un ruisseau dont je ne me rappelle pas le nom. Les Indiens y établirent pour quelque temps leur village. Ils voyagèrent tout l’hiver. Au commencement je fus confinée dans la loge d’un vieux chef. Il me força, par les plus terribles menaces, à la plus vile soumission. Il me vendit ensuite à Double-Face, un Sioux, qui ne me regarda pas comme sa femme, mais qui me contraignit de faire tout le travail domestique dévolu aux squaws, et me cribla de coups. Double-Face me vendit à Pied-Noir, un autre Sioux. Ses squaws me maltraitèrent horriblement. Pied-Noir aussi me battit sans pitié, et les Indiens eux-mêmes me traitèrent comme un chien à cause de l’antipathie que j’éprouvais pour Pied-Noir. Double-Face me racheta, et je fus cette fois un peu moins cruellement traitée. J’étais mieux chez les Sioux que chez les Chayennes, c’est-à-dire que les Sioux me donnaient
La porte du Jardin des Dieux (Colorado). — Dessin de E. Cicéri d’après une photographie.
un peu plus à manger. Chez les Chayennes, je souffrais souvent de la faim. Je fus rachetée par les Sioux au commencement de l’automne. Je restai avec eux jusqu’au mois de mai 1865. Pendant l’hiver, les Chayennes vinrent pour nous acheter de nouveau, moi et mon plus jeune enfant, dans le but de nous brûler vivants ; mais Double-Face ne voulut pas me revendre. Nous fûmes sur la Plate du nord, où les Indiens massacrèrent à cette époque les blancs, et volèrent tout leur bétail. Ils apportaient les scalps et me les montraient en riant. Ils me commandèrent plusieurs fois de sevrer mon enfant, mais je refusai toujours, convaincue que si je le sevrais, ils me l’enlèveraient et que je ne le reverrais plus. Ils me séparèrent de ma fille, dès le moment de notre captivité, et je ne la revis jamais. J’ai vu aujourd’hui l’homme qui la ramena ici, son nom est Davenport ; il vit à Denver ; il la reçut d’un docteur Smith. Elle fut donnée par les Chayennes au major Wynkoop du Colorado, en septembre 1863, mais elle mourut en février dernier des sévices subis chez les Indiens. Mon neveu fut également remis au major Wynkoop, et lui aussi mourut à Denver ; le docteur dit que ce fut par suite des mauvais traitements dont il avait eu à souffrir chez les Peaux-Rouges… »

  1. Territoire de Kansas, limitrophe à l’est de celui de Colorado.