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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/268

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qui ont provoqué dans l’esprit des premiers trappeurs ces légendes d’anciennes villes, veuves d’habitants, rencontrées au milieu des Prairies, avec leurs murs et leurs forteresses encore debout, légendes qui ont longtemps eu cours parmi les émigrants du Far-West.

De Lone-Tree-Creek, une nouvelle étape nous conduisit directement au fort Laramie, entre matin et soir. Nous nous arrêtâmes seulement vers le milieu de la journée, pour laisser les mules boire et se reposer un instant, pendant que l’on prenait le lunch. Nous arrivâmes au fort avant la nuit, après avoir parcouru en trois jours, à partir de Pole-Creek, une distance de cent milles ou cent soixante kilomètres. La route que nous avions suivie est bien connue des traitants et des anciens trappeurs. Elle avait été indiquée à la commission par Pallardie, qui l’avait lui-même souvent fréquentée quelques années auparavant, à l’époque où il trafiquait avec les Indiens.


Le Loup-Tacheté, chef cheyenne. — Dessin de Janet Lange d’après une photographie.

« C’était alors le beau temps, me disait-il. À l’automne, tous les sauvages, les Sioux, les Corbeaux, les Gros-Ventres, se réunissaient sur le plateau de Lone-Tree-Creek, là même où nous avons campé. Pour une tasse de sucre, pour un paquet de tabac à fumer, on avait une robe de buffalo, ou plusieurs peaux de castor. Le sauvage était bon, nous aimait, et nous gagnions beaucoup d’argent.

« Aujourd’hui les blancs sont venus, le bison est parti ou il a disparu. Les Indiens se méfient de nous, et sont devenus méchants. On paye dix et vingt piastres une robe de buffalo, cinq piastres une peau de castor, et les affaires ne vont plus[1]. »

Qu’aurait donc pensé Pallardie s’il avait pu tout à coup se reporter à ces temps primitifs où quelques rares trappeurs connaissaient seuls la Prairie, et où un traitant allait sans plus de façon dans la même année du Mexique ou de la Louisiane au Canada ? C’était souvent pour échanger des produits du sol contre des fourrures, et parfois aussi, comme c’était le cas des Français qui faisaient plusieurs centaines de milles en se rendant du fond des Prairies à la Nouvelle-Orléans ou des grands lacs à Saint-Louis, pour aller causer un moment à la ville.

La route que suivaient ces coureurs de Prairies porte encore chez les Américains le nom de Spanish-trail, comme qui dirait le sentier espagnol ou mexicain. Le fort Laramie est aujourd’hui la principale étape de cette route. Il est situé au confluent de la rivière Laramie avec

  1. Les traitants des Prairies étaient jadis plus nombreux qu’à présent. Ils faisaient avec les Indiens un commerce d’échange, et prenaient des peaux de buffle et d’autres fourrures en donnant en retour du sucre, du café, de la farine, du tabac, de la toile, des couvertures. L’eau-de-vie et les armes étaient prohibées, mais c’étaient surtout les principaux objets d’échange. Comme tous les commerces de troque, ce trafic enrichissait bien vite les traitants qui gagnaient gros des deux côtés. De grandes maisons de Saint-Louis commanditaient ce commerce, et les caravanes partaient dans la belle saison. La poudre et les armes tentaient surtout les Indiens. Aujourd’hui c’est encore la première chose qu’ils demandent aux commissaires de l’Union quand ils tiennent des conseils avec eux.