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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/288

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tent. Ni le docteur Mathews, ni John Richard ou Pierre Chêne, n’ont pu m’écrire en caractère anglais les noms des chefs des Corbeaux. Que serait-ce s’il se fût agi d’Arrapahoes ou d’Apaches, dont la langue, déjà si gutturale, ne s’accentue que du bout des lèvres ?

En tout cela, bien entendu, je ne parle que des tribus des Prairies, et non de celles qui vivaient jadis sur les versants des montagnes qui regardent l’Atlantique, ou le long du Mississipi. On sait que la plupart de ces dernières sont éteintes, les Algonquins, les Hurons, les Iroquois, les Natchez, les Mohicans, et que la France, il faut bien le reconnaître, a contribué pour une large part à cette disparition.


Jim Beckwith, mulâtre américain, d’abord prisonnier, puis chef d’une bande de Sioux, mort au fort Laramie en 1867. — Dessin de Janet Lange d’après une photographie.

Le restant de ces tribus que j’appellerai Atlantiques, les Delawares, les Cherokees, les Séminoles, les Osages, les Creeks, est aujourd’hui cantonné dans des réserves, notamment dans l’Indian Territory, où les Peaux-Rouges perdent peu à peu leurs caractères distinctifs. Sur toutes ces tribus on a des histoires, des documents authentiques, tandis que l’on ne sait encore que fort peu de chose sur celles des Prairies. La plupart des légendes et des traditions qu’on leur prête ont été inventées par les voyageurs.

C’est vers un nouveau territoire, analogue au précédent et limitrophe de celui-ci, que les commissaires de l’Union ont récemment refoulé les cinq grandes nations du sud. C’est le même genre de réserve qu’elles indiqueront dans le nord du Dakota aux Corbeaux et aux Sioux, si elles les trouvent bien disposés, comme il est probable, au mois de juin 1868.

Et après, va-t-on dire, qu’arrivera-t-il des Indiens ? Car c’est la question que chacun adresse quand il entend parler des Peaux-Rouges. Si les Indiens des Prairies vont dans les réserves, il leur arrivera ce qui est arrivé à ceux des bords atlantiques, ils perdront peu à peu leurs coutumes, leurs mœurs sauvages, ils se plieront insensiblement à la vie sédentaire et agricole, et peu à peu, dernière phase dont il reste à voir le premier exemple, leur pays passera du rang de territoire à celui d’État. Arrivé à ce dernier degré, l’Indien sera tout à fait fondu avec le blanc ; il ne s’en distinguera pas plus peut-être, après quelques générations, que le Franc chez nous ne se distingue du Gaulois, et le Normand du Saxon, en Angleterre.

Mais si l’Indien ne se soumet pas, s’il ne consent pas à être cantonné dans des réserves ? Alors c’est une guerre à mort, entre deux races de couleur et de mœurs différentes, une guerre impitoyable comme on en a vu malheureusement tant d’exemples sur le sol même de l’Amérique. Où sont maintenant les Hurons, les Iroquois, les Natchez qui ont étonné nos pères ? Les Algonquins, qui ne connaissaient pas les limites de leur territoire, où et combien sont-ils aujourd’hui ? Tous ont peu à peu disparu par les maladies, par la guerre.

La guerre qui se livrera cette fois sera courte, et ce sera la dernière, car l’Indien y succombera fatalement. Il n’a pour lui ni la science ni le nombre. Sans doute, par ses embûches, par sa fuite, par ses attaques isolées et tout à fait imprévues, il déroute la guerre savante, et les plus habiles stratégistes des États-Unis, le général Sherman en tête, ont été battus par les Indiens ; ceux-ci s’en sont fait assez de gloire auprès des blancs. Mais cette fois ce sera une guerre de volontaires et non plus de réguliers. Les pionniers des territoires s’armeront, et si l’Indien demande dent pour dent, œil pour œil, les blancs lui imposeront l’inflexible peine du talion, et l’Indien disparaîtra pour toujours.

L. Simonin.