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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/31

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village fortifié, situé au milieu d’un estuaire de montagnes, où nous parvînmes par une gorge étroite et très-rapide. De magnifiques baobabs, situés près du village, devinrent notre campement naturel. Cet arbre, on le sait, est un des plus utiles que la nature ait distribués sur la terre des noirs ; il croît dans tout le Soudan avec une profusion remarquable. Il fournit un fruit nommé pain de singe, très-astringent, dont la farine sucrée et acide mêlée au lait constitue un remède très-efficace contre la dyssenterie, ainsi que j’en ai fait l’épreuve et qui, outre cela, est un rafraîchissant agréable. Dans quelques cas de famine, j’ai vu les noirs en faire du couscous. La feuille séchée et pilée fournit le lallo, poudre verte impalpable qui est l’accompagnement indispensable du couscous des Yoloffs et du lack lallo dès Bambaras, ces deux principaux plats de la cuisine du Soudan ; enfin, son écorce battue fournit des fils d’une certaine ténacité et d’une belle couleur, avec lesquels on fait des cordes très-régulières, mais de peu de durée.

Grâce à notre guide, nous fûmes bien accueillis à Niantanso ; on vint nous construire une case en secos (sorte de nattes grossières en paille tressée). On nettoya la place de notre campement, on nous apporta un grand vase en terre cuite qu’on remplit d’eau reposée et claire, et nous pûmes prendre un instant de repos.

Puis, vinrent les chefs de villages environnants, la plupart apportant un petit contingent de provisions. Nous eûmes ainsi la visite des chefs de Diakifé et de Bambandinian. Celui de Firia m’envoya trois poules ;
Niantanso. — Dessin de Tournois d’après l’album de M. Mage.
le chef du village m’en donna deux et une calebasse de beau riz. J’achetai quelques vivres pour les hommes de mon escorte, à raison d’une poule pour deux poignées de sel environ, et trois litres de riz pour cinq charges de poudre.

Je fis l’ascension d’une montagne, située à l’ouest du village ; je vis l’horizon très-court à l’est, fermé par une chaîne de montagnes que nous devions traverser le lendemain. Ces montagnes, comme presque tout le sol du Bambouk, sont ferrugineuses, et les habitants fondent le fer par un procédé qui se rapproche de la méthode catalane et que tous les voyageurs ont décrit. Ici ce métal n’a que peu de valeur ; j’achetai un grand couteau pour Bara, qui avait perdu le sien, moyennant une tête de tabac (à peu près 0, 50 centimes).

Le soir, le griot du village, armé de sa grande guitare mandingue, instrument à douze ou quinze cordes, vint me saluer de ses chants. Je le dessinai, et il fut abasourdi de voir que tout le monde le reconnaissait sur le papier noirci par mon crayon. Quant à lui, qui, peut-être, ne s’était pas vu dans une glace et n’avait jamais aperçu son image que réfléchie dans l’eau, il est très-probable qu’il ne comprenait pas comment cette feuille de papier pouvait lui ressembler. C’est, du moins, ce que son air hébété semblait me faire comprendre, et ce n’est ni la première ni la dernière fois que j’ai eu l’occasion de faire une remarque analogue.

Le lendemain nous retrouva en route ; nous franchîmes un marigot, puis une petite montagne, un second marigot, et nous arrivâmes à une haute montagne de cent cinquante mètres aux pentes rapides, que cependant on put gravir sans mettre pied à terre, non sans peine, à cause des bambous qui la couvrent et qui sont entre-