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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/34

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pillée. Je fis donc camper mon escorte sur la rive gauche du Bakhoy qui, dans cet endroit, forme une île. Mon guide ne paraissait pas content ; il eût voulu aller à Kita qui n’était qu’à quelques heures, mais je persistai dans mon opinion. Quelques hommes vinrent au campement de différents endroits. Ils confirmèrent les bruits de guerre dans le Bélédougou qui se trouvait sur notre route, mais rien encore ne nous faisait supposer que nous ne pourrions pas le traverser.

Je profitai de mon séjour au Bakhoy pour déterminer par hauteur méridienne la latitude, que je trouvai de 13° 07′ nord.

Je remis mes cartes au net, observant la loi que je m’étais posée de ne jamais passer trois jours sans remettre au net le lever que je faisais jour par jour. Je regarde cette précaution comme indispensable pour faire un bon travail. En route, on note de la façon la plus rapide des relèvements de montagnes, un marigot, un ruisseau, une côte de montagnes, et quelques jours après on ne sait plus ce que ces notations veulent dire. Ce fut pendant ce séjour que les symptômes de discorde dans mon escorte arrivèrent au paroxysme. Déjà plusieurs scènes avaient eu lieu et j’avais été obligé d’intervenir, mais cette fois Samba-Yoro vint me déclarer qu’il ne voulait plus avoir rien de commun avec les autres, qui l’insultaient, oubliant qu’il était leur supérieur. Je le calmai, l’engageai à la modération. Je tançai les autres, leur rappelant qu’ils devaient le respect à leurs supérieurs, même quand ils faisaient tous le même service ; mais c’en était fait de la concorde que j’eusse désiré voir entre eux. Je m’en affectais et par la suite ces scènes se renouvelèrent souvent et même avec plus de violence.

Le 18 janvier je me remis en route ; mon guide tombait malade. Nous vînmes camper à Kouroukoto, premier village de Kita. J’avais cru que Kita était un nom de village ; c’est le nom d’une montagne au pied de laquelle nous nous trouvions et qui donne son nom à un petit pays enclavé dans le Foula Dougou où nous étions entrés un peu avant de traverser le Bakhoy.

Le Kita est habité par des Malinkés ; son chef-lieu est Makandiambougou ; seize villages entourent la montagne ; la plupart sont placés à l’est. Cette montagne[1] est un massif granitique isolé. Le plateau supérieur, très-accessible, est découpé par des gorges et surmonté de trois pics, dont j’estimai le plus élevé à 250 mètres au-dessus du niveau de la plaine. J’en fis l’ascension ; de là je voyais vers le S.-E. et vers l’E. un horizon assez lointain, et plusieurs plans de montagne qui semblaient courir perpendiculairement à la direction de mon regard. En descendant, je rencontrai des citernes naturelles formées dans le roc et pleines d’eau, puis un étage de la montagne cultivé, et plus tard j’appris qu’au temps de la guerre cette montagne avait été le refuge des habitants qui y trouvaient une défense naturelle et aussi quelques ressources pour vivre, et en y réfléchissant je fus conduit à me demander comment, même dans un pays aussi sujet aux révolutions, ils n’en avaient pas fait leur demeure perpétuelle comme certains villages du Bambouk qui se sont établis sur des sommets de montagne et ont dû à cela de n’être pas détruits par les armées d’El Hadj, auxquels ils ont fait essuyer des pertes sensibles.

En cet endroit de notre route nous fûmes arrêtés pendant neuf jours ; c’était le plus long temps d’arrêt que nous eussions subi jusque-là, et je maugréais ; mais notre guide était atteint d’une pneumonie qui ne laissait pas que d’inquiéter le docteur. Tout ce qu’il put faire ce fut de se traîner jusqu’à Makandiambougou, où nous devions trouver quelques secours. Je passai ainsi quatre jours à Sémé et cinq à Makandiambougou.

Nous fûmes partout bien accueillis, mais il était visible que sans l’influence de notre guide nous ne l’eussions pas été ; à Sémé, je trouvai un marabout maure presque noir de Oualet ; il me combla d’amitiés. Sa fille, grande et belle fille de seize à dix-sept ans, allait absolument nue, à l’exception d’une bande de toile de 0m10 de large, qui fixée à un mince cordonnet passé autour de ses reins, retombait derrière elle ; une ceinture de verroterie complétait ce costume primitif, qui, assez habituel aux petites négresses, se voit rarement chez les jeunes personnes. J’en fis l’observation à son père, qui me répondit que c’était l’usage de son pays, et en effet je me rappelai une fille de Bakar, le roi des Douaïchs, qui m’était apparue encore moins vêtue sans en paraître le moindrement gênée, et une autre qui habitait la même tente que moi avec sa famille dans un camp de Kountah, et qu’on avait mise littéralement à l’engrais ; des bourrelets de graisse venaient tomber jusque sur ses pieds ; elle valait très-cher.

Les villages de Kita sont entourés de cultures de coton, de giraumons, de pastèques. Les autres cultures, telles que le mil, les arachides, le riz, se font plus au nord. On trouve aussi des tomates, des légumes amers connus sous le nom de Diakhatou, et enfin du beurre de Karité, le Shéa Toulou de Mongo Park, le Cé de Caillé.

Nous vîmes fabriquer le savon noir avec le kata (lavure de cendres) et l’huile d’arachides. Un soir je fus attiré dans le village par le bruit d’un concert et de danses. L’orchestre se composait de deux balophons, de cymbales en fer, d’une flûte bambara percée dans un bambou et enfin de deux tamtams (ce sont les tambours du pays). Cela formait une grande cacophonie, mais il y régnait une mesure au son de laquelle on sautait et on gambadait tout autant qu’on eût pu le faire avec le meilleur orchestre d’Europe.

Sur ces entrefaites Boubakary Gnian tomba malade d’une pleurésie double ; il avait déjà une autre maladie chronique, et je craignis un instant d’être forcé de l’abandonner.

Puis le mieux survint et il se retrouva en état de nous

  1. En relisant sur le texte anglais la narration du deuxième voyage de Mongo Park, je vois qu’il fait mention de cette montagne, qu’il n’a fait qu’apercevoir et qu’il désigne sous le nom de Sankarée.