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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/362

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d’une véritable coupole, en appliquant à cette voûte la perspective outrepassée d’une demi-sphère.

La lumière céleste plonge avec le soleil ou la pluie sur les marbres et les roses de porphyre dont le milieu du temple est dallé. J’ai vu pendant qu’on chantait vêpres se refléter dans une flaque d’eau l’azur de l’air ainsi que la voûte, sur laquelle décrit sa marche orbiculaire le soleil, en y traçant des ellipses lumineuses. Accrochés aux tranches des caissons dont ils accusent le relief, ses rayons découpés en projections géométriques gaufrent le tuf grenu de la calotte, l’enflamment et le rendent éblouissant comme une mosaïque à fond d’or. Quand on s’oublie un moment, la tête renversée devant cette coupole si singulièrement éclairée, on assiste au spectacle le plus frappant qui puisse être obtenu par des moyens simples mis au service d’une pensée bizarre et juste.

Le Panthéon est, ainsi qu’on l’a dit, précédé d’un portique ou péristyle qui repose sur seize énormes colonnes monolithes en granit oriental, couronnées des plus beaux chapiteaux que Rome nous ait légués. Ces colonnes, sur huit de front, sont doublées d’un second rang ; des pilastres ou piliers engagés en forment un troisième contre l’édifice même. Ici notons une autre singularité qui fait illusion sur la profondeur du portique. Au lieu d’être alignées sur des parallèles formant angle droit avec les degrés du péristyle, ces colonnes rayonnent légèrement, de telle sorte que, du milieu de la place, où celles du premier rang qui portent le fronton devraient cacher celles du second et du troisième, on les voit au contraire s’échelonner, parce que leur position un peu oblique engendre une perspective imaginaire dont le résultat est de reculer les distances.

Ce sont là des incartades comme s’en permettait Virgile tout exprès pour scandaliser M. Lhomond. Il n’est pas mal d’insinuer à la jeunesse qu’à la différence des professeurs, les maîtres se sont permis d’inventer, et qu’il est dans les arts, surtout aux grandes époques, une autre vertu, une pureté plus haute que la servilité.

Cette place du Panthéon déblayée par Eugène IV de décombres qui contenaient des lions de basalte, une tête en bronze de Marcus Agrippa, un quadrige, un sarcophage de porphyre où Clément XII a fait son lit, et autres balayures des barbares, ce petit endroit dévolu aux menus trafics des revendeuses fut jadis un lieu sauvage et mystérieux, le vallon de la Chèvre ; marécages hérissés de joncs, entourés de taillis au milieu desquels s’est accompli le second prodige de la genèse romaine : la disparition de Romulus.




« Presque à chaque pas, dit mon guide en me ramenant vers l’obélisque de granit dont Clément XI a si heureusement surmonté la jolie fontaine d’Honoré Longhi, oui, partout vous rencontrerez des monuments aussi précieux que le Panthéon et retraçant une foule de souvenirs. N’oubliez pas que cet édifice contemporain de Virgile est le tombeau du Carrache, de Balthazar Peruzzi, de Jean d’Udine, de Perino del Vaga, de presque toute l’école de Raphaël qui repose là au pied du maître. Vous avez vu dans la troisième chapelle à gauche la Madona del Sasso que Lorenzetto a sculptée pour décorer l’autel qui recouvre les ossements du plus harmonieux génie de l’art moderne. »

Et me tirant dans une ruelle à gauche jusqu’à la petite place di Pietra, l’abbé s’effaçant démasqua de biais un palais moderne à deux étages surmonté d’un attique, le tout emprisonné comme dans une corbeille à claire-voie par une file de hautes colonnes cannelées, au nombre de onze, dont les chapiteaux portent un magnifique entablement de marbre. Rencontre fortuite à seule fin de démontrer la fréquence de ces merveilles ; mais à la direction que nous prîmes ensuite je vis bien qu’on avait, avec intention, fait un détour.

C’est à la fin du dix-septième siècle que la douane de terre fut installée dans les débris d’un temple du second siècle, dédié selon toute apparence au pieux Antonin. L’édifice antique était voûté et, vues de l’intérieur, la partie postérieure de l’architrave et la base de la voûte apparaissent telles qu’un rocher soulevé dans les airs et effondré sur un mur. Il faut savoir que Borromini qui restaura il y a deux siècles la frise et l’entablement, a lié le tout avec un enduit de stuc qui produit ces illusions. Les colonnes corinthiennes engagées dans l’édifice moderne, qu’elles contiennent comme des cercles les douves d’un tonneau, ont des rameaux d’olivier parmi les acanthes de leur couronnement, mais la finesse de ces chapiteaux est loin d’égaler la pureté de ceux du Panthéon. Des incendies ont fendillé les piliers, déchirés par éclats comme des troncs d’arbres que la foudre aurait labourés. Dans la cour, parmi les ballots, les caisses et les charrettes s’agite la population des commis, des crocheteurs, des camionneurs. Spectacle bizarre de cette ruine morte, qui enveloppe et laisse voir dans son sein une maison toute en vie.

Ces aspects commençaient à m’intéresser ; je me complaisais même, en vertu sans doute de quelque instinct inné et pédantesque, devant une myriade d’églises provinciales rencontrées en chemin, à ramener leurs architectures depuis deux siècles à la prépondérance des jésuites pour le genre, au prototype de Saint-Pierre pour le style. Le dôme, la cour, les bâtisses de notre Sorbonne parisienne parlent cet italien-là sans accent. Puis nous pénétrions dans des ruelles d’un âge problématique qui réalisaient à mes yeux un idéal très-envieilli de notre ancien pays latin. Ce qu’on entrevoit des habitudes du moyen peuple contribue aussi à l’éclipse du siècle présent. Comme au temps du roi Anarche, les gens vont acheter à l’échope du coin leurs vivres cuits, et leur sauce ailleurs. Les vaisselles de terre brune, les vases à forme d’amphores ; l’exhibition devant les magasins, à petites portes en deux vantaux superposés et à traverses cintrées, d’une série de marchandises que depuis un siècle on n’utilise plus ailleurs ; la révélation