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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/367

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cadémie de France. Les présentations, les visites, la fréquentation du monde procurent aisément ici des relations ; quelques artistes parisiens joyeusement retrouvés recrutèrent aussi le personnel de nos soirées. C’est le repos et la distraction de l’esprit, le retour salubre, en un climat où la fatigue est un danger, aux habitudes confortables et réparatrices de la vie ordinaire.

Ce n’est qu’à la longue et sans projet arrêté d’utiliser mes notes, que je me pris à étudier les choses une à une et de près. Des encouragements amicaux m’enhardirent à oser davantage ; mais plus encore sans doute le démon familier qui, d’instinct et d’habitude, pousse nos impressions à renaître fixées et nos aspirations au travail d’écrire.


Le temple d’Antonin. — Dessin de E. Thérond d’après une photographie.

Cependant, au milieu des souvenirs de Rome, il est prudent à l’écrivain de se mettre à l’écart ; il a tant de choses à faire connaître que si, comme dans voyages ordinaires, il se montrait vivre pour animer la scène, le cadre de sa composition usurperait une place démesurée. L’auteur restera donc au dernier plan, comme un oisillon chétif qui chante inaperçu dans un bois sacré. Et les motifs se dérouleront dans le pêle-mêle d’époques, dans l’étrange contraste où les ont enchevêtrés les siècles et les hommes. La nature vous offre Rome ainsi, et c’est ce qui anime la seule nécropole où l’on se sente vivifié de tout le plein souffle des âges.

Ces déclarations faites pour n’y plus revenir, on comprendra que le Forum Romanum, que le Colisée, naguère entrevus dans un éblouissement rapide, aient été l’objet de nos premières études.




Quand on se rappelle ce que fut ce lambeau d’un étroit vallon, les intérêts du monde qui y ont été débattus, les voix qui y ont retenti, les drames qui s’y sont dénoués, lorsqu’on songe que depuis le temps à demi fabuleux de l’alliance des Sabins avec les hordes de Romulus, jusqu’aux derniers Augustules, ce lieu fut le cerveau de l’immense empire romain, on ose à peine en fouler le sol, tant on est saisi d’une religieuse impression. L’histoire entière d’un peuple, et du plus renommé, s’est accomplie sur cette place, âme et sanctuaire de Rome.

Elle n’était plus connue naguère que sous le nom de marché aux Vaches, Campo vaccino, tant le moyen âge catholique avait oublié le Forum. C’est la France qui, au début de ce siècle, lui a rendu son titre, redevenu populaire depuis que notre administration a déblayé, entreprise qui lui fait honneur, une portion du sol antique.

Mais avant qu’on exposât là du bétail en vente, un pré tout voisin avait reçu déjà, vers l’an 426 de Rome, une qualification dérivée du surnom de Vitruvius Vaccus, chef de la révolte des Privernates, qui menait grand train à Rome où, selon Tite-Live, « il avait contre le Palatin une maison qui fut rasée, et la place où l’on sema de l’herbe prit le nom de Prés de Vaccus. » « In Vacci pratis, écrit à son tour Cicéron (Pro domo), domus fuit M. Vacci quæ publicata est et eversa. »

On s’est étayé de ces textes pour créer au Campo vaccino une étymologie nouvelle et faire remonter jusqu’à l’antiquité une désignation réellement moderne. En effet, les historiens ne qualifient jamais ainsi le Forum, et si le nom de cette place avait été bâti sur le radical de Vaccus, on aurait fait Vacceio ou Vaccio, et non point vaccino dont le sens est formel. Si cette insoutenable étymologie ne venait d’être remise à la mode, je m’abstiendrais d’en parler.

On sait parfaitement où était le Forum Romanum mais l’exacte délimitation de l’emplacement laisse prise à beaucoup d’incertitudes ; aussi a-t-elle suscité de nombreuses controverses. Une portion seulement de la place a été révélée par des fouilles ; la vérité sur l’ensemble est encore à moitié enfouie sous vingt-quatre pieds de décombres entassés au onzième siècle par le vandalisme de Robert Guiscard qui, pour venger les papes, a détruit la merveille du vieux monde, leur capitale. Il aurait donc fallu, mais le coffre de saint Pierre n’est pas assez riche, continuer sur cette longue place partagée en deux niveaux distincts les fouilles entamées sous Paul III, poussées avec plus d’acti-