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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/389

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tournée sans boîte ni portefeuille se sont assuré, dans certaines boutiques de cabarets ou de pâtisseries, des étapes connues où les gens de chaque quartier viennent examiner s’il n’y a rien pour eux dans le tas éparpillé sur une table à la disposition des chalands.

Candeur digne de l’âge d’or ! Pourvu que le distributeur passif voie chaque lettre enlevée remplacée par un sou, l’opération est régulière, et, plus elle se fera vite, plus la tournée sera simplifiée. Vous pouvez donc, sans contrôle, acquérir pour un baiocco telle lettre qu’il vous plaira. Ce que je dis, je l’ai vu pratiquer dix fois. Chargez un ami de prendre vos lettres en passant s’il rencontre le facteur, votre ami n’aura pas même besoin de dire qu’il vient de votre part, et s’il le dit, on n’exigera aucune preuve.

La multiplicité des démarches et des courses, l’absence des omnibus, la rareté des fiacres, concourent donc à vous faire trottiner plus de la moitié du jour à travers rues. Mais on prend cette obligation en patience, parce qu’elles changent absolument de physionomie selon le quartier, et que sur leur pavé déborde, distraction plaisante, un menu peuple libre d’allures et qui apporte en plein soleil, outre ses écuelles et son réchaud, ses habitudes ménagères, l’exercice parfois de son métier, sans être inquiété par des règlements prohibitifs.


Le Violoniste de Raphaël (palais Sciarra). — Dessin de Paquier d’après une ancienne gravure.

Dans les longues rues conventuelles où l’herbe pousse, sur le chemin de Sainte-Marre-Majeure au Latran, par exemple, d’amusants cortéges circulent sans bruit, mêlés aux passants rares et discrets. Les écoliers des séminaires et colléges, originaires des cinq parties du monde, costumés en petits abbés de toutes les couleurs, suivant les nations, avec de volumineux tricornes sur des corps grêles et des minois enfantins, donnent un amusant spectacle. Les Allemands ont des soutanes rouges, les Anglais en ont de violettes ; le froc blanc des petits Américains contraste avec les jeunes têtes rembrunies des négrillons et des peaux rouges enluminées par le soleil indien.

Au Pincio se donnent rendez-vous le matin, pour causer politique, d’hétéroclites et discrètes personnes qu’on prendrait pour des commis en retraite et des commerçants retirés, n’était l’habit clérical qui sent l’ancien régime et fait penser à la vieille comédie plutôt qu’à l’église. Une ombrelle jaunâtre sous le bras, la tabatière à la main, ces prélats ont la désinvolture des bons bourgeois d’autrefois.

Par suite de quelque vœu maternel, on voyait naguère des carmes, des franciscains, des chartreux de huit à dix mois tetant leur nourrice, et c’est ce qui a lieu maintenant encore dans le royaume de Naples. Jusqu’à Léon XII et à Grégoire XVI qui ont mis fin à un autre abus, les clercs des avoués et des notaires, ainsi qu’une foule de petits employés des administrations, s’arrogeaient le privilége de porter la soutane tout en gardant la vie et les allures de la jeunesse du siècle. De là pour des étrangers bien des occasions de scandale, ceux-ci attribuant au clergé les étourderies et les méfaits des clercs de la basoche. La soutane est là-bas ce que sont chez nous le froc administratif et l’uniforme militaire : la tenue de ceux qui sont quelque chose dans l’État.

Beaucoup de moines, de religieuses et une certaine quantité de soldats, voilà ce qui contribue à bigarrer l’aspect des rues en rehaussant un peu le déguenillé des naturels du Trastevere ou de la Suburra. Les costumes populaires n’existent plus à Rome ; mais il en vient encore de la province. Les campagnes députent à la grand’ville, outre des modèles pour les peintres, des familles qui, pour utiliser quelque voyage indispensable du chef de la tribu, l’accompagneront au complet dans leurs beaux atours, munies de quelques babioles à vendre, de quelques couplets à chanter, ou d’une curiosité à exhiber. La principale affaire conclue, ou le marché clos, ces bonnes gens stationnent où ils ont débarqué, à la place Montanara, au quartier de la Regola, aux environs du palais Farnese, vers le Ponte Sisto, ou à l’angle du Pont aux Quatre-Têtes, attendant l’heure de retourner aux montagnes en grignotant un peu de pain. Assise sur une margelle, échelonnée en grappe sur la pile angulaire et les parapets, une maisonnée champêtre sera là tout installée comme au logis, les marmots s’ébattant autour des jupes maternelles, la contadine allaitant le plus jeune en attendant son seigneur.




Ce sont les spectacles de la rue : ils offrent une diversion quand on court d’une église, d’une galerie à l’autre. Le débraillé du populaire, le caractère des physionomies ou des attitudes présentent avec une fréquente fidélité les modèles qui, perpétués par les siècles, ont posé pour les peintures des musées et des palais. Une des premières galeries que j’aie visitées, est celle du palais Barberini, voisin de ma demeure et où la pluie m’a souvent interné.

Mais j’avais débuté par le palais Rospigliosi sur le Quirinal par suite d’un pieux engagement envers un