En revanche les fiacres ne se payent que quinze
baïoques, dix sous à Naples et sans pourboire, les
Romains, les Napolitains surtout, ne buvant que l’eau
des torrents. De ce côté, les choses vont mieux qu’à
Paris où à mesure que l’agrandissement de la cité rend
ces voitures plus nécessaires, on augmente leur tarif,
de façon à rendre de plus en plus inabordable aux
gens de moyen état une institution d’une nécessité
croissante. Peut-être l’autorité, qui chez nous se mêle
de tout, reste-t-elle là-bas trop étrangère à cette administration ;
dans nombre de circonstances chacun
se trouverait bien d’une vigilance plus active. « Nous
ne sommes pas heureux, me disait un jour mon cocher,
parce que personne ne nous protége ! Qu’un paysan tombé de la montagne et qui n’a pas même vu Rome
se fasse inscrire comme cocher
de fiacre, on le recevra
sans renseignements,
sans examens ; il fera concurrence
sur la place à des
gens qui savent leur métier.
Aussi les étrangers
sont-ils forcés souvent de
planter là leur voiture au
milieu de la rue et de s’en
revenir à pied de bien
Au Pincio… — Dessin de Henri Regnault.
loin : c’est leur journée
perdue. Ce désagrément
advient trois fois sur sept.
Tous les vagabonds chassés
de Naples et des Calabres,
on les reçoit à Rome.
Comment y vivraient-ils ?
les voilà forcés d’assassiner
pour manger. Et les
étrangers effrayés désertent
Rome, où nous autres
nous mourons de faim
dans tous les états, parce
qu’aucune profession n’a des garanties. Ils disent
que c’est la liberté : oui,
s’il y avait une justice ; mais on est jeté en prison sans
savoir pourquoi ; on y serait oublié si l’on était sans
protecteurs : est-ce aussi la liberté ? Basta ! abbiamo un’ cattivo governo ! »
Ce bonhomme était Romain, Romain de père en fils, et le long du chemin il se signait devant les madones. Ses compatriotes appellent ardemment des réformes ; l’erreur des Italiens est de s’imaginer qu’ils appellent l’étranger, et l’erreur des Français est de croire que les Italiens de Milan, de Turin ou de Naples, sont pour les Romains des compatriotes.
Convenons pourtant que la justice régulière avec la garantie de sa publicité est difficile à organiser dans un pays où tout homme lésé qui porterait plainte, où tout témoin qui chargerait un accusé auraient la presque certitude d’être assassinés. Pour être renseignés en matière criminelle, les juges sont réduits à interroger les témoins dans le plus profond mystère, et les voiles dont la vérité se couvre ne laissent pas que de contribuer à l’indulgence abusive de ce faible et paternel gouvernement, dont le vice principal est de n’exister presque pas.
Les usages de l’administration dénotent plus nettement peut-être la situation stagnante et arriérée de cette ville qui fut, qui se croit encore la première du globe. Rien n’est plus singulier sous ce rapport que l’organisation des postes. Il ne sera pas inutile d’en dire quelque chose ; car tout voyageur, faute de renseignements, risque de rester, comme je l’ai été au début de mon séjour, privé de sa correspondance.
Jusqu’au 1er octobre 1865, une simple lettre, de Marseille à Rome, a coûté vingt sous ou baïoques. — Une lettre de faire part imprimée et tout ouverte m’en a coûté quarante et un. Sous prétexte de la pénurie de leurs finances, les États-Romains maintenaient ces lourdes taxes ; il était impossible de convaincre les gens que l’abaissement du tarif profiterait au trésor en multipliant les correspondances. — C’était une chance à courir et Rome n’entend rien à spéculer.
Pour éviter les risques d’une perte la poste romaine refuse de recevoir toute lettre qui n’est pas affranchie jusqu’aux marches des États pontificaux. Mais chose plus incroyable : les lettres qui arrivent au bureau, parfaitement affranchies, y resteront à jamais si vous n’allez pas les chercher, ou si vous n’avez pas informé les employés que votre désir est de les recevoir à domicile. À combien d’inconvénients doit donner lieu l’ignorance d’un usage trop absurde pour être deviné !
C’est le destinataire des paquets et missives qui défraye les facteurs de la poste ; chaque lettre est donc surtaxée d’un baïoque supplémentaire que l’on donne au facteur, de la main à la main. Autant de lettres, autant de sous. On peut économiser cette dépense en allant prendre sa correspondance à la Direction : de là cet encombrement des guichets à l’heure des courriers, et la facilité avec laquelle on remet une lettre au premier venu qui la demande.
L’institution des facteurs payés par le public a un bien autre inconvénient ! Ces messagers qui font leur