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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/4

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des renseignements sur les hommes qui s’offraient à m’accompagner. Si c’étaient de braves gens, j’étais sûr qu’il me les recommanderait avec chaleur ; mais avec lui, comme avec tout autre noir, il y avait cet inconvénient qu’il se gardait bien de révéler les défauts de ceux qui en avaient.

Il m’amena d’abord un de ses grands amis, Boubakary Grnian, Toucouleur du Fouta[1]. D’une physionomie très-intelligente, Boubakary Gnian faisait fonction de quartier-maître indigène sur un des bâtiments de la flottille, où il était patron de la baleinière du commandant. Il renonçait au double avantage que lui offraient ces deux positions pour venir aussi simple laptot à trente francs par mois. Il comprenait bien le français, et, en sa qualité de Toucouleur, il devait devenir par la suite un interprète précieux pour le poul et le soninké, langues qu’il parlait d’enfance.

Je recrutai ensuite différents hommes dont je connaissais la valeur de longue date, les ayant eus sous mes ordres.

Ce furent : Déthié N’diaye, gourmet de première classe, Sérère d’origine, parlant très-bien le français, le wolof et le poul ;

Latir-Sène, Wolof de Dakar, gourmet de première classe à Gorée, connu par sa grande probité ;

Samba Yoro, capitaine de rivière de première classe ; Poul du Bondou, qui, dans sa jeunesse, avait passé trois ans en France. Très-intelligent, infatigable au travail et assez brave au feu, il parlait parfaitement le français. Ce fut du reste mon principal interprète pendant le voyage, et tant que mes discussions avec les chefs n’étaient pas trop fortes, il s’en tirait très-bien ; mais quand elles devenaient un
Latir-Sène, laptot de Gorée. — Dessin de Émile Bayard.
peu vives, soit malgré moi, soit de parti pris, j’étais obligé de recourir à Boubakary Gnian, qui, avec son aplomb de Toucouleur ne craignait pas de parler haut et fort là où Samba Yoro se laissait intimider.

J’engageai ensuite Alioun Penda, ancien esclave du Fouta, déserteur de chez son maître, qui était venu chercher à Saint-Louis sa liberté. C’est un des meilleurs hommes que j’aie jamais connus. Bien que musulman très-fervent, il était sincèrement attaché aux blancs ; il venait de se marier… Il ne devait plus revoir Saint-Louis !

Puis deux hommes qui me furent recommandés, Sidy Khassonké et Bara Samba, laptot du poste de Médine, vinrent grossir nos rangs. Bientôt un de mes anciens hommes de la Couleuvrine, Issa, marcheur infatigable, me demanda à m’accompagner. C’était un Sarracolet, marabout de Dramané[2].

Enfin, pour compléter mon escorte au chiffre de dix hommes, je pris un sergent tirailleur sénégalais, Mamboye, Yoloff du Cayor, ayant dix ans de service. Prisonnier chez les Maures Trarzas, qui l’avaient enlevé tout enfant dans le Cayor, et l’époque où ils commettaient leurs razzias perpétuelles, il avait appris l’arabe. Repris plus tard par les Français, en 1854, il avait souscrit un engagement de quatorze ans pour obtenir sa liberté. Du reste, vaillant soldat, il avait conquis dans la guerre du Cayor, à l’expédition de Diatti, la médaille militaire et passait pour le modèle du bataillon.

Pendant que je m’occupais ainsi de la composition de mon personnel, je ne négligeais pas le matériel. Conformément au programme que j’avais arrêté avec M. le gouverneur, j’avais fait construire à la marine un canot très-léger, armant quatre avirons, pour explorer le Sénégal au-dessus de Médine, et qui, dans le cas où j’eusse trouvé ce fleuve navigable, eût pu être transporté dans le bassin du Niger au moyen d’un chariot démonté, construit ad hoc. J’avais fait à Saint-Louis un essai de ce mode de transport ; une fois le canot à l’eau, on mettait le chariot à bord : l’opération avait bien réussi. Huit hommes chargeaient le canot sur le chariot et le déchargeaient.

Deux mules me furent prêtées pour traîner cet appareil, et je trouvai à en acheter une troisième. Sous le rapport des chevaux, je fus moins heureux. L’opinion généralement reçue au Sénégal, que les chevaux de race arabe ne vivent pas dans le haut fleuve, empêcha le gouverneur de mettre à ma disposition des chevaux de l’escadron de spahis ; et quant à acheter des chevaux maures, dont le prix varie de cinq à huit cents francs, les ressources du voyage ne me le permettaient pas. Je fus réduit à me procurer deux mauvais petits chevaux du Cayor, maigres et blessés, qui me coûtèrent l’un trente-six francs et l’autre soixante.

Ces achats soldés, il me restait peu d’argent sur les cinq mille francs qui avaient été mis à ma disposition pour le voyage, et que j’avais troqués en partie contre des marchandises recherchées dans l’intérieur, d’un écoulement plus facile que l’argent, et qui ayant, dans

  1. Toucouleur, nom donné aux habitants du Fouta mélangés de Pouls, de Yoloffs et de différentes races, parmi lesquelles les Soninkés semblent dominer. Ce peuple intelligent, guerrier et cultivateur, musulman et fanatique, est toujours plus ou moins en lutte avec le gouvernement local du Sénégal et a fourni à El Hadj les soldats avec lesquels il a fait toutes ses conquêtes.
  2. Dramané ou Daramané, petit village détruit, et reconstruit en même temps que Makhana dont il est limitrophe.