sale ; ses cases étaient réunies par groupes assez misérables ; on n’y trouvait que peu de poules et quelques chèvres. Le marigot que l’on passe avant d’arriver offrant une irrigation naturelle, ce village a des cultures privilégiées ; la plaine dans laquelle il se trouve est élevée de deux à trois mètres au-dessus de l’étage inférieur qu’on trouve de l’autre côté du marigot et qui doit être inondé à l’hivernage. À l’époque où je passai, elle était couverte d’une belle herbe. Malheureusement aucun bœuf n’apparaissait au milieu de ce tapis de verdure.
On nous y reçut bien, mais il était évident que Fahmahra, notre guide, perdait de son autorité, et que nous ne devions plus guère compter que sur notre titre d’ambassadeur auprès d’El Hadj. Ce territoire n’était plus du reste, sous la dépendance de Koundian, mais bien sous celle de Farabougou, autre forteresse d’El Hadj. On nous construisit des huttes en sécos (sorte de nattes grossières), et le chef vint nous apporter une poule et un peu de riz pour notre souper. Je ne pus rien me procurer pour les hommes ; aussi, après avoir mis mes notes au courant le lundi 1er février 1864, je partis à une heure pour aller camper à Kouroundingkoto.
Notre route longeait à droite des montagnes peu élevées ; nous traversions un pays plat, coupé de marigots, et dont les plaines présentaient des cultures de coton. Nous étions enfin sortis des pays de montagnes pour entrer dans les plaines de Kaarta.
Kouroundingkoto est un petit village de cases en
paille, situé au pied d’une montagne d’environ soixante
mètres de haut. Il est assez propre. Au moment où nous
arrivions, il présentait un aspect animé : de toutes parts
Un convoi de captifs (voy. p. 38). — Dessin de Émile Bayard d’après l’album de M. Mage.
des métiers de tisserands grinçaient en plein air : un
beau soleil animait la scène et égayait le village. Un
nombre considérable de femmes et d’enfants se rassemblèrent
autour de nous. Nous allâmes à l’extrémité du
village camper sous un gourbi destiné aux palabres (assemblées).
Le chef du village était absent ; son frère
Séma vint me saluer et me donner un cabri, s’excusant
de faire aussi peu pour un homme qui allait chez El
Hadj. Dans la soirée, il pourvut à tous nos besoins et
largement à ceux de nos animaux porteurs qui en avaient
grand besoin. Un marabout du village vint me trouver
et me dit : « que placé dans ce village par El Hadj, il
fallait qu’il me reçût, c’est-à-dire me logeât et me donnât
à souper, et que n’ayant pas de fortune il ne pouvait
m’offrir qu’un cabri. » Cet animal était tout jeune ; nous
l’emmenâmes, et il fut bien longtemps notre compagnon
de route ; nous l’avions baptisé du nom du village
où il avait vu le jour ; il faisait dans tous les endroits où
nous séjournions le désespoir des matrones par son
impudence à voler le couscous sous leur nez. Pris en
flagrant délit, il recevait une tape, mais alors, il ne
plaisantait plus et se précipitait à coups de cornes
sur ses adversaires, au grand bonheur de mes laptots
qui l’avaient pris en affection. Le jour de sa
mort fut un jour de deuil pour eux ; ils s’étaient fait
à son sujet une superstition et disaient que tant que
cet animal serait avec nous, nous ne subirions jamais
la faim.
On me donna encore à Kouroundingkoto un coq, du riz, et le soir un peu de pauvre foin, du lait et une poule.