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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/39

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des mille nécessités de la vie dans lesquelles à coup sûr il est pénible de se voir enchaîné à quelqu’un. L’autre bande avait le même genre d’attache, mais avec un petit adoucissement. Au lieu d’un bâton, c’était une grosse corde flexible en cuir qui les réunissait. Au moins ils n’étaient pas contraints à ne garder entre eux que la plus petite distance sous peine de s’étrangler.

Outre leurs fardeaux, ils portaient jusqu’à deux et trois fusils, quand il plaisait à leur seigneur et maître de leur confier le sien ; tant que nous fîmes route ensemble, ils portèrent de plus, à tour de rôle, un seau en toile que je leur prêtais et qu’ils remplissaient d’eau.

Leur costume défiait toute description. Au départ, ils avaient eu un boubou[1] et un pantalon (toubé) ; l’usure et les épines de la route avaient transformé tout cela. L’étoffe n’avait jamais brillé par la finesse ; elle avait dû être blanche, mais l’usage et l’absence d’ablutions l’avaient transformée en couleur isabelle foncé ; on peut dire qu’elle était en charpie, et que les pantalons même, en lambeaux, ne tenaient plus sur les corps que par la corde qui ceignait les reins. Si un chiffonnier avait la fantaisie de suspendre les chiffons qu’il ramasse à une corde et de s’en entourer comme d’une ceinture, l’effet serait le même.

L’arrivée dans le Kaarta fut un grand soulagement pour ces malheureux ; pour les uns, c’était la fin de leurs misères : ils allaient enfin entrer dans la vie sédentaire comme esclaves ; c’était peut-être leur condition première ; pour les autres, c’était un adoucissement, car ils devaient dorénavant aller de village en village comme nous-mêmes, et du moins ils étaient ainsi assurés d’avoir à boire et à manger.


Une halte dans le Foula Dougou. — Dessin de Émile Bayard d’après l’album de M. Mage.


Entrée dans le Kaarta. — Ses limites. — Quelques réflexions sur ce pays. — Marena. — Kouroundingkoto. — Guettala. — Population du Bagué. — Dindanco. — Rencontre de Diulas. — Origine du sel de Tichit. — Entrée dans le Kaarta-Biné. — Bambara-Mountan. — Namaboubougo. — Touroumpo. — Guémoukoura. — Séjour à Guémoukoura.

Le Kaarta dans lequel j’entrais est un vaste pays limité au nord par le désert, à l’est par le Bakhounou, à l’ouest par le Diafounou et le Diombokho, et au sud et sud-est par le Bakhoy, le Foula Dougou et le Diangounté.

Avant mon voyage, deux Européens seulement l’avaient visité : Mongo-Park en 1796, sous le règne de Daisé Coro Massassi, et Raffenel en 1845, sous le règne de Kandia.

Il suffit de lire les relations de ces deux voyageurs pour se convaincre de la faiblesse du Kaarta considéré comme État ; ennemi redoutable pour ses voisins noirs, il est évident que ce pays, en proie aux dissensions intestines, constamment en guerre avec le Ségou, ne pourrait opposer aucune résistance sérieuse à une armée bien organisée.

Dès que j’eus franchi le Bakhoy no 2, par 13° 14′ 55″ latitude nord, j’entrai dans la province de Bagué, me dirigeant par deux villages kaartans : Marena et Kouroundingkoto. Le premier, auquel je parvins après trois heures et demie de marche, dans un pays aride et accidenté et par une route très-sinueuse, était petit et

  1. Sorte de blouse musulmane très-ample qui est à peu près semblable au puncho de l’Amérique.