sur des prisons qui furent la salle des archives. Mais c’est dans les jolis appartements décorés par l’école de Raphaël qu’il faut chercher la salle où par ordre de Pie IV fut étranglé le cardinal Caraffa, neveu du pape précédent, le jour même où l’on coupait la tête à son frère le prince Paliano.
La pièce où se donna satisfaction sur le neveu de Paul IV une vieille rancune, est dénommée tout naturellement le salon de la Justice : Zuccheri, qui y a figuré les Vertus à la fresque, a doté celle-là de grâces et d’attraits passablement trompeurs. Sur les portes, sur les murs de ces appartements ornés par les soins du cardinal Crispo et naguère occupés par un commandant de place relevant de Napoléon III, des élèves de Jean d’Udine ou de Perino del Vaga ont fait courir d’élégantes arabesques pour encadrer divers traits de l’histoire locale : — or dans ce pays-ci, les chroniques de la cité, c’est l’histoire romaine.
Je visitais cet édifice en
compagnie de quelques
Français, avec le portier-consigne
pour cicerone.
C’était un sergent-major
franc-comtois, qui s’était
bourré dans la tête les
légendes, les traditions du
lieu et qui, ayant dramatisé
le tout à la façon des
mélodrames du boulevard,
démontrait en estropiant
les noms et en faisant
ronfler les r comme les
traîtres de l’Ambigu. Ce
garçon jovial subissait une
idée fixe assez plaisante :
il désirait trouver l’occasion
Porte du palais de Venise. — Dessin de Thérond d’après une photographie.
d’assommer un Anglais,
— un de ces Anglais
qui multiplient les objets
d’art pour s’approvisionner de reliques. — Il s’imaginait
qu’un de ces indiscrets une fois bien rossé, l’exemple
suffirait pour les corriger tous. Il prenait donc
le soin d’égarer çà et là quelques bagatelles d’antiquité,
et quand, après avoir vérifié ses amorces, il
guidait des familles anglaises, il affectait de tourner
le dos ; après quoi il revenait voir si le piége avait
réussi. Et comme rien n’était jamais dérobé, le cerbère
déçu soupirait. Si les larcins présumés de ces
touristes l’exaspéraient, leur honnêteté l’impatientait
bien davantage.
Dans l’ancienne salle des archives, trois énormes coffres-forts, dont l’un, qui remonte à Sixte-Quint, est curieux, servirent de prétexte aux plus singuliers récits.
On nous fit voir au fond d’une niche l’ancienne figure de l’archange taillé par Monteluppo, que Paul III avait dressée sur le faîte du château Saint-Ange, et que le dix-septième siècle a remplacée par le chérubin un peu ramassé et plus prosaïque du Flamand Verschaffelt. Paul III ayant combattu les Turcs et les hérétiques, son archange tirait le glaive : le conciliant et spirituel Benoît XIV, qui s’était attaché à pacifier l’Église, voulut pour symbole un saint Michel rengainant son épée. La statue est plus philosophique d’intention et de forme aussi.
On a placé au château Saint-Ange, dans de longs magasins qui ressemblent à l’entre-pont d’un navire, des provisions d’huile qui, tant les coutumes se perpétuent dans les pays antiques, sont distribuées dans de grandes amphores en argile d’une forme quinze cents fois séculaire, alignées sur deux rangs et encastrées dans du ciment comme chez les boutiquiers de Pompéi.
Mes compagnons, qui m’étaient inconnus, parcouraient tout d’un œil distrait et cheminaient avec l’impatience de la curiosité mise en haleine. « Cela n’est rien encore ! leur répétait de salle en salle notre sous-officier en tirant sa longue moustache rousse ; je vous garde le meilleur pour la fin !… »
Lorsque nous débouchâmes sur la plate-forme de l’édifice d’où l’on a de si beaux points de vue sur la ville, sur Saint-Pierre et le Vatican, sur les huit collines de Rome, sur ses ruines et sur les campagnes, chacun poussa des cris d’extase et l’on confessa que le troupier avait raison. La lumière est si belle, les vastes horizons de la vie éclatent dans une si navrante clarté lorsque l’œil les embrasse au sortir des cachots !
Mais tandis que nous répétions à l’envi les noms de tant de monuments célèbres, ces noms que sur place on aime à faire sonner : « Ce n’est pas tout cela interrompit le sergent-major ; vous allez voir quelque chose de mieux ! » Alors appelant un chien barbet qui nous avait sui-