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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/410

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qu’il périt empoisonné par un envieux qui était son propre frère, Jérôme Duquesnoy.

Comme son aîné, ce Jérôme excellait à pétrir des chérubins et des anges. De retour dans sa patrie dix ans après la mort de François, il y fut, pour des infamies qu’on punissait alors comme des crimes, condamné à être brûlé vif : c’est alors qu’au milieu des tortures il fit l’aveu de son fratricide.

Le chef-d’œuvre de l’estimable Duquesnoy me rappela qu’à gauche de la voie Sacrée la petite église de Sainte-Françoise Romaine conserve un ouvrage d’un artiste français. J’allai donc jusque-là par cette avenue de petits arbres bêtes, mal nourris d’un amas de décombres qu’il faudrait enlever, et qui, sans me répartir beaucoup d’ombre par le soleil ardent de cette vêprée, interceptaient le cadre de la nécropole.

Ce n’est pas pour vanter les sculptures dessinées par le Bernin sur le tombeau de sainte Françoise, dame romaine du quinzième siècle qui sous le titre d’oblates a institué des béguines à Rome, que je mentionnerai cette petite église, ni pour signaler la tombe de notre compatriote Grégoire XI qui a réintégré le siége pontifical à Rome après soixante-douze ans d’exil dans le Comtat : je me bornerai à recommander quelques objets intéressants qu’on s’abstient de chercher, et dont les Guides ne parlent point. C’est tout d’abord, derrière le maître-autel, une mosaïque du dixième siècle qui représente la Vierge entourée de quatre saints séparés entre eux par des cintres et des colonnes ; au transept de gauche, deux tableaux attribués au Pérugin : l’un est de l’école du Francia ; l’autre pourrait bien provenir d’un maître assez rare, Gerino da Pistoja.

Donnons une honorable mention à une bonne toile de notre compatriote Pierre Subleyras, natif d’Uzès. Elle décore l’autel d’une des chapelles et représente Saint Placide ressuscitant un enfant ; conception très-religieuse, d’un grand aspect, d’un effet saisissant et que Lesueur aurait pu signer. Le Louvre possède, si je ne me trompe, une réduction de cette composition ; mais la pensée du maître y est bien refroidie. — Je me rappelle aussi la belle figure équestre en bas-relief d’un condottiere padouan du quinzième siècle, dont la sépulture a été décorée par un Florentin.




Les ombres qui enveloppaient le Palatin, les rayons de pourpre qui frappaient les édifices de la pente Esquiline m’avertirent que les heures avaient passé comme des songes. Dans l’involontaire et complet oubli de soi-même, qu’avec légèreté dans Rome on accepte la solitude ! Visiter sans compagnons certains foyers de la vie actuelle, ambitieuse, active et bruyante, tels que Londres ou Paris, serait une attristante épreuve. Au bord du Tibre où le siècle présent détache de si rares éclaireurs, l’esprit se laisse entraîner dans le passé, où la mesure du temps disparaît. C’est ici qu’il faut boire les consolations du Léthé, sous ce portique du monde futur édifié par les âges d’autrefois. Quel refuge pour les naufragés de la gloire, pour les dégoûtés de nos doctrines changeantes, pour les raisons excédées de la malfaisance humaine, pour les nobles ambitions trahies, pour les dévouements saturés d’ingratitude ! Le beau lieu d’attente pour se disposer par l’oubli d’exister au passage de la mort, pour s’engager à elle doucement, par l’attrait des fréquentations dont elle vous environne en cet Élysée !

Des tertres qui entourent la via Sacra, je regardais défiler ces ombres sur le pavé de la plus ancienne rue de l’Europe : elle porte ce nom en mémoire des sacrifices propitiatoires célébrés par Tatius et Romulus au pied du Capitole. Et cherchant à embrasser dans un coup d’œil d’ensemble ces espaces tant renommés du vallon compris entre le Palatin, l’Esquilin et le Cœlius, mieux que jamais j’admirais dans son ensemble la richesse de ce cadre historique. C’est un beau fond de tableau pour les colonnades du Forum, que le Tabularium capitolin de Sylla, que le temple d’Antonin et de Faustine, la basilique de Constantin, l’abside de Vénus et Rome, l’arc de Titus et le Colisée.

Antonin et Faustine, avec sa cella en travertin couronnée de cette frise où courent des griffons séparés par des candélabres et des vases, ce temple dont les colonnes, les plus grands monolithes en cipollin que l’on connaisse, ont pour diadème un entablement d’énormes blocs de Carrare, cet édifice païen, dans ses bras robustes que le temps a revêtus d’une teinte métallique, étreint une nef d’église posée là comme dans une corbeille de bronze. Ceux qui l’y ont mise l’ont laissée sous l’enseigne de Faustine et d’Antonin par respect pour une belle inscription du second siècle ; le peuple a payé son tribut à l’art des aïeux en caractérisant d’un mot cette paroisse : il la nomme San Lorenzo in miranda.

Les colonnes de l’hexastyle n’ont pas moins de quarante-trois pieds ; elles sont enterrées aujourd’hui d’environ cinq mètres : sous les empereurs, on montait vingt et un degrés pour arriver au temple…

Lorsqu’on a dépassé le monument des fondateurs de Rome aux pieds desquels on avait, juste hommage, étalé le plan gravé de la grande ville qu’ils avaient créée, plan dont les débris sont au Capitole, lorsqu’en faveur de ses mosaïques on a pardonné à saint Cosme de s’être logé chez Romulus, on arrive devant trois hautes et larges absides où l’œil cherche comme au seuil de trois cavernes à percer les ténèbres, et que le vulgaire appelle : les Arcs de la Paix.

Les restes de cet édifice, dont le plan échappe au premier abord, sont tellement massifs et trapus, qu’on se méprendrait sur leur élévation si les gens du quartier, qui ont frayé un sentier de biais sous ces nefs, ne vous donnaient une fréquente occasion de comparer au volume des blocs, ainsi que des soubassements épars de la portion croulée, les lilliputiennes proportions d’un passant.

Au douzième siècle, quand les trouvères, eux qui