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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/52

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ques bœufs et chevaux s’offrirent tout d’abord à nos yeux.

La population était en grande majorité composée de Soninkés qui habitaient seuls le tata. En dehors de cette race, il y avait affluence de Peuhls et de Maures Ces derniers n’étaient que de passage et trafiquaient de leur sel.

Bien que Sarracolets pur sang et parlant le soninké, les gens du village avaient en partie adopté l’usage de se déchirer la joue de trois coupures, se dirigeant de la tempe au menton, ce qui est, on le sait, le blason des Bambaras ; de plus ils portaient presque tous la botoque dans la cloison nasale. C’est un anneau fendu, en or, en cuivre, ou même en cire, que l’on resserre après l’avoir passé dans un trou pratiqué dans la cloison nasale, absolument comme dans les oreilles des négresses. C’est absolument affreux, mais on y tient dans le pays, et les Soninkés ont adopté cet usage barbare qui semble, du reste, avec quelques modifications, régner dans tout le Soudan central depuis les chaînes de Kong jusqu’à Tombouctou, depuis l’Adamawa jusqu’au bassin du Sénégal, où cet usage n’a heureusement pas pénétré.

Notre campement fut de suite envahi par une foule proportionnelle à la grande population du village. On nous apportait à vendre, pour quelques verroteries, des oignons magnifiques, des tomates d’Europe (c’est-à-dire de l’espèce d’Europe), du lait, du beurre.

Je m’occupais tranquillement du dîner qu’on nous préparait quand on vint m’annoncer la visite d’un Massassi de Guémené. J’appris alors que tous les Massassis du Kaarta qui n’avaient pas été tués par El Hadj ou qui ne s’étaient pas réfugiés dans le Khasso et le Bambouk sous la protection de nos alliés, avaient été internés dans le village de Guémené, qui n’était guère à plus de trois heures dans le Sud.


Femme khassonkée, de Médina. — Dessin de Émile Bayard d’après l’album de M. Mage.

Deux beaux noirs, offrant ce type remarquable des Massassis, le seul type existant dans la race Bambara, dit Raffenel, se présentèrent alors avec une aisance remarquable. Beaux hommes comme toute cette famille, qui doit peut-être à de nombreux croisements avec les Peuhls ses qualités physiques, ils étaient vêtus d’un boubou lomas noir, c’est-à-dire d’une étoffe fine, fabriquée dans le pays et teinte de l’indigo le plus foncé ; un turban appelé tamba sembé s’enroulait sur leur tête ; des cordons de soie rouge, apportés par les Maures, soutenaient leur poire à poudre et leur cartouchière ; un sabre suspendu à une espèce de bretelle jetée sur l’épaule et un fusil à deux coups tenu à la main, tel était l’accoutrement de ces gens qui, je le répète, me frappèrent tout d’abord par leurs bonnes manières. Ils parlaient à voix basse, très-convenablement, contrairement aux Bambaras qui crient à se faire entendre de tous les sourds de la terre et qui gesticulent encore bien davantage.

Ils me dirent que leur père, ayant appris que deux blancs étaient dans le pays, les envoyaient au-devant de moi pour me saluer et m’offrir des secours pour traverser le pays ; que le Bélédougou était révolté et que son armée était près de Toumboula, village par lequel nous devions passer ; qu’il fallait venir chez eux où je serais en toute sécurité, qu’ils rassembleraient une armée pour me conduire, que de tout temps leur famille avait été l’amie des blancs, qu’ils avaient reçu Raffenel et qu’ils me recevraient de même. Ceux qui ont lu ce voyageur avoueront que c’était peu tentant.

Je refusai en les remerciant, mais je leur dis qu’allant à Ségou trouver El Hadj, sous la conduite de ses talibés, je ne pouvais que m’en rapporter à eux et que je continuerais le chemin que nous avions décidé de prendre. Peu après cette visite, le chef du village m’amena un superbe bœuf au pelage gris ; c’était le menu de mon souper, et le chef s’excusait de ne pouvoir faire mieux.

Je fis immédiatement tuer le bœuf et, selon l’usage malinké et bambara, je renvoyai au donateur, une jambe de devant avec deux ou trois côtes entières. Chose bizarre, ils préfèrent la jambe de devant à celle de derrière qui est plus grosse et de meilleure qualité ; mais enfin c’est l’usage. Je fis ensuite quelques cadeaux de viande et ne gardai que les deux quartiers de l’arrière-train pour faire de la viande séchée. Du reste, je voulus remercier ce brave homme de sa bonne réception, et après avoir consulté Fahmahra sur ce qui pourrait lui être agréable, je lui fis cadeau d’un boubou et d’un toubé ou pantalon ; environ dix mètres d’étoffe de coton en tout, et il fut enchanté.

Le 15 février, après une nuit très-froide (9° centigrades), notre camp fut assailli de nouveau par tous les curieux ; il faut presque autant dire par toute la population du village, et, de plus par les plus insupportables visiteurs, les Maures et Mauresques.

Il y avait près de là un camp d’une tribu de cette race : une fraction des Laklalls. Comme toujours, les