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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/53

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Maures se montraient insolents et mendiants ; les noirs les craignent et ont pour eux un respect instinctif, en un mot ils subissent leur ascendant. Ceux auxquels nous avions affaire offraient le type arabe assez pur ; il y en avait même de très-beaux. Parmi leurs femmes qui se drapaient fièrement dans de la guinée sale et à demi usée, il y avait deux ou trois jolies créatures, mais qui sans doute, étaient déjà à l’engrais, car l’embonpoint déformait leur taille.

Sans l’aflluence extraordinaire du public, aucun lieu n’eût été mieux choisi que Tiéfougoula pour se reposer. Nous y étions dans l’abondance, mais les Maures m’exaspéraient ; depuis mon voyage au Tagant je les ai pris en horreur, et ici, encore, je les trouvai ce qu’ils sont partout : voleurs !

Depuis trois mois que nous étions en pays de nègres, rien ne nous avait été volé. Mais ici, au moment où, après avoir observé la latitude (14° 22′ 46″ nord), je fis charger les bagages pour aller coucher à Médina, il nous manqua une baïonnette. Je fis prévenir le chef du village, qui me répondit de suite : « Ce sont les Maures ; veille bien à tes bagages, car sans cela ils t’enlèveront tout !  ! »

Réclamer eût été vain ; nous nous mîmes en route.

On me fit d’abord remonter au nord jusqu’à Sébindinkilé, petit village qui touche presque au grand village bambara de Guigué. Ensuite nous inclinâmes au sud-est ; et à quatre heures et demie nous arrivions à Médina, assez grand village soninké. Fahmahra se rendit chez le chef, qui me fit prévenir de bien veiller à mes bagages parce qu’il y avait beaucoup de voleurs, et pour me montrer combien ils étaient


Près de Moroubougou (voy. p. 55) — Dessin de Émile Bayard d’après l’album de M. Mage.

adroits, il me dit qu’ils avaient pillé jusqu’à des Maures de passage auxquels ils avaient enlevé une pierre de sel et un fusil. C’était le cas de dire à voleurs voleurs et demi. Quant à moi en présence d’aussi adroits coquins, il n’y avait pas à balancer, et je me décidai à mettre un factionnaire et à tenir tout le monde à l’écart, chose plus facile imaginer qu’à faire exécuter au milieu d’une foule semblable. La nuit arriva sans qu’on m’envoyât rien pour mon souper ; mais on apporta, selon l’habitude des Bambaras, du lack lallo[1] aux hommes. Le soir les Peuhls envoyèrent du lait à Fahmahra qui m’en donna un peu ; ce fut tout ce que je reçus dans ce village.

En revanche nous apprîmes une nouvelle inquiétante dont je ne pouvais encore pressentir la gravité. On disait qu’Ahmadou, roi de Ségou, avait brûlé la ville de Sansandig. Ce bruit, qui révélait des troubles même à Ségou, et ne tendait à rien moins qu’à représenter comme foyer de révolte contre le fils d’El Hadj, une des principales villes du pays, était en partie démenti ; mais quand je demandais des explications on m’induisait en erreur et il m’était impossible alors de démêler la véritable situation de la contrée. Du reste, m’eût-elle été connue, toute tentative pour revenir sur mes pas m’aurait fait abandonner de mes guides, et je

  1. Lack-lallo, farine de mil bouillie, en pâte très-épaisse, accompagnée d’un coulis d’aloo ou de lallo, de viande séchée ou poisson séché. Les amateurs prétendent que pour que ce soit bon, il faut que la viande ou le poisson soit très-avancé. Le lallo est la feuille du baobab séchée et pilée.