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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/90

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cas où il m’arriverait malheur ; puis je rassemblai ce qui me restait d’argent, d’ambre et de corail, avec un peu d’or que j’avais acheté afin d’avoir une valeur portative : cela fait, j’attendis.


Campagne de guerre en Afrique. — Bataille de Toghou.

Le 26 et le 27 arrivèrent les contingents convoqués de toutes parts : les Sofas de Yamina, les Peuhls de la banlieue de Ségou. Le 28 janvier, réveillés par le tabala, nous nous hâtâmes de faire nos préparatifs. Le docteur qui, en me voyant décidé à accompagner Ahmadou, m’avait simplement dit : « Demandez aussi un cheval pour moi, » était prêt ; Ahmadou avait dit à Samba-N’diaye de me prêter le sien. Je lui en fis demander un second, il ne tarda pas à nous être amené. Vers deux heures nous allâmes rejoindre Ahmadou sous les arbres, d’où il ne bougeait plus depuis trois jours. On assemblait devant lui la poudre et les balles et, à quatre heures, après le salm, on en fit la distribution aux porteurs qui aussitôt après se mirent en marche.

Les munitions qu’ils emportaient se composaient de :

  • 140 barils de poudre du pays d’environ 30 kilog. l’un, soit 1 200 kilog.
  • 33 sacs de poudre d’Europe de 15 à 20 kilog.
  • 27 paquets de 4 fusils chacun, pour rechange ;
  • 9 gros toulons de pierres à fusil ;
  • 150 sacs de 1 000 balles de fer chacun, soit 150 000 balles.

À cinq heures et demie, le tout était chargé et en route, sur la tête de plus de trois cents somonos, dont quelques-uns ployaient sous le faix ; d’autres avaient chargé des ânes du soin de leur bagage. Enfin, une douzaine d’énormes calebasses représentaient le bagage d’Ahmadou et ses provisions. Quant à nous, nous n’avions qu’un toulou de couscous, deux de bourakie ou couscous mélangé de miel et d’arachides pilées et un sac de sel, puis des outres en peau de bouc pour contenir l’eau. La marche fut lente tout d’abord, l’armée occupait un immense espace, et à travers la poussière éclairée des rayons du soleil couchant, les costumes bigarrés, cette énorme foule mélangée de piétons, de chevaux et même d’ânes, présentait un coup d’œil pittoresque. Je voulais d’abord me tenir près d’Ahmadou, mais comme il marchait au milieu de sa garde de Sofas, je dus y renoncer sous peine d’en écraser quelques-uns.

Nous passâmes successivement par les villages de Soninkoura, de Koghou, Mbébala, Banancoro, Nérecoro, Dialocoro, Bafou, Bougou. En dernier lieu, nous quittâmes le bord du fleuve que nous avions suivi jusqu’alors. À dix heures quarante minutes, les sons du tamtam et de la flûte, joints à la vue de nombreux feux au milieu des arbres, nous annoncèrent le campement de Marcadougouba occupé par l’armée de Turno Alassanne. Après avoir erré quelque temps au milieu de ces feux et des détachements groupés alentour, je finis par rallier mes laptots, ainsi que le docteur, et nous bivouaquâmes au pied du premier arbre qui se trouva sur le bord de la route. Le difficile était d’attacher les chevaux qui, animés par le grand air et les hennissements, s’échappaient à travers le camp. Par trois fois le mien suivit cet exemple. Nos laptots trouvèrent un amas de cannes de mil dans le village et, sans plus de façon, s’en emparèrent, de telle sorte que nous eûmes un feu comme tout le monde. Au surplus, ce n’était pas de luxe, car la nuit était fraîche et nous n’avions emporté qu’une couverture pour tout campement, pensant que le lendemain serait jour de combat.

À peine Ahmadou fut-il campé qu’il nous envoya un demi-pain de sucre pour assaisonner le couscous de notre souper. Cette attention, en un pareil moment, avait bien son mérite.

Ce ne fut pas sans surprise qu’au milieu de ce tohu bohu général où chacun cherchait des ressources pour son compte, nous nous vîmes l’objet de politesses et d’égards de la part de tous. Depuis ce moment jusqu’à mon retour, il en fut toujours ainsi. Notre présence à l’armée avait modifié notre position, et il est impossible de dire quelle popularité elle nous valut.

Le lundi 30 janvier, nous fûmes réveillés comme d’habitude par la musique du corps de Fali et presque aussitôt, malgré l’heure matinale, Ahmadou commença un palabre avec les Talibés. Tout d’abord, il leur reprocha leur mollesse, leur rappelant tout ce qu’ils devaient à son père et à lui ; leur disant que depuis le départ de son père ils ne faisaient rien, que les Sofas se battaient ainsi que les Toubourous, et qu’eux ne songeaient qu’au repos ; que s’ils avaient ainsi agi sous les ordres de son père, ils n’eussent pas conquis tant de contrées. Puis il invita chaque compagnie à nommer cent hommes d’élite pour marcher en avant. Cela se fit sans peine. Alors Ahmadou, continuant son palabre, demanda la restitution des Kouloulous (objets pillés à la guerre et soustraits au partage général), disant qu’il fallait, si l’on mourait, aller vers Dieu les mains vides du bien de ses frères. Cette opération fut longue ; nul soldat ne se décidait à commencer ; enfin lentement, très-lentement, on en vit se lever : l’un restituait un peigne, l’autre une outre en peau de bouc, un couteau, un chapelet ; enfin l’un avoua qu’il avait vendu un fusil cinq mille cauris, disant que s’il était tué il avait un esclave qui représenterait plus que cette valeur ; un autre confessa le détournement d’un captif dont il avait dissipé le prix.

Cette scène vraiment curieuse se prolongea longtemps. Une fois terminée, Ahmadou alla à chaque compagnie s’assurer lui-même du nombre de ses hommes : on les comptait par les fusils alignés sur le sol à côté les uns des autres. Il assigna à chacune des grandes compagnies son campement pour la nuit, afin qu’elles fussent prêtes à partir au premier signal. Ensuite il retourna haranguer de nouveau les Sofas qui venaient de voir faire une fantasia pendant qu’Aguibou, son frère, monté sur le beau cheval d’Arsec (chef de Sofas, garde-magasin,