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Page:Le Tour du monde - 18.djvu/133

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guides semblent connaître moins bien l’Islande que l’étranger lui-même s’il possède une carte, surtout lorsqu’on dépasse les Geisers ; mais comment me tirer d’affaire avec tout cet attirail que j’avais sur les bras, avec ces chevaux qu’il faudrait charger, rallier, etc., etc. ?

Machinalement je me mis à plier bagage sans trop me demander ce que je ferais après ; je parvins à réunir mes six chevaux, dont un commençait à traîner la jambe, et ces pauvres bêtes, immobiles devant moi, attendaient.

J’aurais, je crois, dépensé toute mon ardeur dans un premier accès de colère, lorsqu’il fallut songer à mettre sur leur dos ces lourdes caisses qui renfermaient tous mes moyens d’existence ; car ce fut surtout alors que je vis la triste réalité de ma situation. Je m’étais assis, abattu, sur ma tente roulée dans son sac ; j’en étais réduit à prendre le parti de revenir sur mes pas, de retourner à Reikjavik, de renoncer à mes projets, au moment même où j’allais me plonger dans cette Islande inconnue dont je voulais pénétrer les mœurs. Vaincu par le désespoir, je pleurais comme un enfant quand tout à coup la terre fut violemment secouée : le grand Geiser, que je n’avais pas encore vu en éruption, vomit une grande gorgée d’eau qui s’éleva à environ dix pieds, retomba dans le gouffre et remonta immédiatement après avec plus de violence. On eût dit que le grand Geiser voulait me consoler ! Ses éruptions sont semblables à celles que l’on provoque dans le Strockur ; elles n’en diffèrent que par le volume des eaux et surtout leur parfaite pureté. Figurez-vous une
Vue du Laugarvatn. — Dessin de V. Foulquier d’après l’album de l’auteur.
colonne d’eau de douze pieds de diamètre s’élevant majestueusement à une hauteur de cent vingts pieds ; chaque fois qu’elle retombe en se brisant, on dirait un immense saule pleureur en cristal. Le soleil couchant faisait briller ses myriades de particules d’eau comme des diamants : les rayons décomposés formaient autour de cette gerbe éblouissante des auréoles irisées qui semblaient s’évanouir dans l’éther chaque fois que la colonne d’eau disparaissait, et comme les eaux retombent toujours sur place dans le bassin, l’observateur peut se tenir à quatre mètres du cratère sans risquer d’être atteint.

Parmi les nombreuses théories qui ont cherché à expliquer les éruptions intermittentes des Geisers, la plus accréditée est celle qui admet l’existence d’une grande cavité souterraine que l’eau, venant d’une grande profondeur, remplit jusqu’à un certain niveau, mais non jusqu’à la voûte supérieure. Cette cavité communique avec l’air extérieur par un tube coudé dont l’extrémité inférieure, au lieu de s’ouvrir dans le plafond même de la caverne, débouche sur une des parois latérales et bien au-dessous de la surface des eaux souterraines. Portées par les fournaises qui les entourent à un fort degré d’ébullition, les eaux engendrent, on le conçoit, de continuelles effluves de vapeur qui ont besoin de trouver une issue. Ne pouvant s’échapper par le tube, dont l’extrémité inférieure est plongée dans l’eau, la vapeur se condense dans les espaces vides, entre le niveau de l’eau et la voûte de la caverne, jusqu’à ce que, comprimée outre mesure, elle fasse effort, d’une part contre le rocher, de l’autre contre la masse liquide, dont elle force une portion à remonter