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Page:Le Tour du monde - 18.djvu/18

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Ma visite en ce lieu avait pour but l’étude d’une veine d’anthracite que j’y avais reconnue quelque temps auparavant. Je traversai ensuite la rivière de Dumbéa, quelques collines plus ou moins élevées et couvertes de gras pâturages et j’arrivai en trois heures et demie environ à Païta, belle plaine qui s’étend jusqu’au bord de la mer dans le fond du port Laguerre et le long de la petite rivière de Kataramonan. Ici le terrain est très-fertile et déjà un village complet s’y est fondé. Les habitants sont à peu près tous Allemands ou Irlandais, c’est-à-dire qu’ils appartiennent aux deux races du monde les plus propres à ce genre de colonisation qui exige la patience, le travail et la sobriété.

Ces familles, établies là depuis 1859 seulement, font plaisir à voir. Arrivées avec de faibles ressources, elles ont eu l’heureuse chance de ne pas se tromper dans le choix du sol à cultiver. Après avoir construit de petites cases suffisantes comme premier abri, elles ont défriché tout autour de cette habitation autant de terrain que leurs bras le leur permettaient ; à la saison des semis elles ont pu mettre en terre du maïs, des pommes de terre, des haricots, des patates, des légumes divers. En attendant la levée de la récolte, les champs en culture ont été entourés d’une barrière (fence) composée de troncs de jeunes niaulis placés à deux mètres de distance environ les uns des autres et reliés par trois rangs de gros fils de fer pour empêcher le bétail de venir piétiner sur les plantes, et manger le maïs en herbe. Ces colons avaient d’abord acheté quelques vaches venues de Sydney ; les premiers frais avaient été assez élevés. Mais, par la suite, ces animaux paissant librement l’herbe tendre et abondante de la plaine se sont multipliés et ont augmenté le bien-être de leurs possesseurs ; car le lait, naturel ou transformé en beurre et fromage, variait l’alimentation des premiers jours qui consistait principalement en bœuf salé et biscuit ; que l’on ajoute à cela une basse-cour complète de poulets, de canards, etc…, un verger dont les fruits sont excellents, et on comprendra comment l’aisance la plus parfaite régnait au bout de quatre ou cinq ans au milieu de ces familles qui, à leur arrivée, étaient presque misérables.

Qu’un étranger se présente aujourd’hui dans ces demeures, l’accueil le plus franc lui est offert, et ce qui prouve le mieux le bien-être dans lequel vivent ces colons, c’est la grande quantité de beaux enfants frais et roses que chaque famille possède et dont le nombre s’accroît régulièrement tous les ans. Tous ces rejetons viennent curieusement vous examiner et vous saluer en kanak, en français, en anglais et en allemand. Au moment de mon passage à Païta, ces familles prévoyantes venaient de se réunir et de décider qu’entre elles toutes elles payeraient un maître d’école qui viendrait au milieu d’elles instruire leurs enfants. Ce projet, favorisé du reste par le gouverneur, fut bientôt mis à exécution. Quelques mois plus tard une chapelle était aussi élevée et un missionnaire, le révérend P. Montrougi, savant remarquable, qui a enrichi l’histoire naturelle de précieuses découvertes, fut appelé à ce vicariat. La plupart des colons, d’origine allemande, étaient protestants ; mais, au sein de cette vie calme et laborieuse, l’esprit de l’homme s’élargit, et tous comprirent qu’une question de dogmes ne devait pas les diviser. Tous ensemble, catholiques ou protestants, se réunissent à la même heure dans l’enceinte élevée au Dieu des chrétiens.

En remontant le long de la côte ouest, au nord de Païta, on trouve, un peu avant d’atteindre la baie de Saint-Vincent, la station de Tongoin, habitée par un Chinois qui m’accueillit avec un empressement et une hospitalité qui font le plus grand honneur aux us et coutumes de l’Empire du Milieu. Je vois encore d’ici, et non sans émotion, le brave Jemmy, c’est son nom, venant à ma rencontre, menant son seul cheval en laisse sur lequel il me fallut monter et me laisser emmener à la case où je dus manger et boire. Ce fut dans cette circonstance que, pour la première fois, je mangeai du trépang, ce mollusque si recherché des Chinois. La préparation culinaire de cet animal est fort longue. Les Chinois seuls, je crois, en connaissent la recette. Cependant le résultat final est loin d’être exquis, et, en cherchant dans mes souvenirs gastronomiques, je ne puis guère comparer ce mets qu’à de la couenne de lard tendre. Mes hôtes chinois de Tongoin font largement leurs affaires ; ils sont très-actifs, intelligents, laborieux, économes et assez sobres. Ils cultivent surtout le maïs et les haricots ; ils élèvent des porcs avec les fruits de nombreux goyaviers qui couvrent en partie les environs de leurs habitations, et, enfin, possesseurs de quelques embarcations, ils font la pêche du trépang.

On n’a pas encore importé le travailleur chinois en Nouvelle-Calédonie, malgré les immenses services que ces hommes peuvent rendre et que j’ai bien pu constater dans d’autres colonies ; dans celle-ci nous ne possédons encore que quelques Indiens amenés de Bourbon et des gens des Nouvelles-Hybrides.

Au nord de Tongoin sont les belles plaines de Saint-Vincent, que l’on traverse en allant à Kanala et qui sont arrosées par trois beaux cours d’eau, la Tamoa, la Tontouta et l’Ouenghi. Ces fertiles contrées auraient offert un emplacement admirable pour établir le chef-lieu de la colonie ; rien n’eût été facile comme de créer des routes et des chemins au milieu de cette grande surface plane. Aucune tranchée n’y eut été nécessaire. Le terrain, bien arrosé par trois rivières et une multitude de ruisseaux, pourrait nourrir en liberté de nombreux troupeaux de chevaux et de bétail. Les jardiniers auraient pu s’établir autour de la ville, qu’ils auraient approvisionnée de légumes. Cette plaine contient aussi, disséminé de toute part, le niaoulis qui eût servi aux constructions ; plus loin en s’élevant le long des rivières et des ruisseaux sur les flancs des montagnes qui forment la ceinture de ces plaines, abondent aussi de magnifiques futaies. Enfin, la rade de Saint-Vincent, une des plus vastes du monde, est