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Page:Le Tour du monde - 18.djvu/23

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le bateau de l’État le Catinat, dont cinq hommes moururent après avoir mangé des sardines. Or, il est certain que ces sardines, dont j’ai bien souvent mangé, ne sont vénéneuses qu’à une certaine époque, et il est facile de s’en apercevoir, car elles sont alors très-maigres. À ce moment les naturels n’y touchent pas.

J’ai été moi-même empoisonné deux ou trois fois par le poisson. On éprouve des tranchées excessivement violentes pendant quelques heures, après quoi le mal cesse subitement, mais l’on reste dans un grand état de faiblesse et pendant vingt-quatre heures au moins on ressent de vives démangeaisons sur tout le corps. Il y a plusieurs degrés d’empoisonnement et il arrive souvent qu’après avoir mangé du poisson on ne ressent que ces démangeaisons auxquelles on ne prête pas beaucoup d’attention.

Je citerai encore un exemple d’empoisonnement qui est remarquable, en ce qu’il montre bien que dans quelques cas les espèces de poissons les plus communes peuvent être vénéneuses.

Le 8 septembre 1866 l’équipage de l’aviso à vapeur le Marceau pêcha en rade de Kanala une bécune de un mètre cinquante centimètres de longueur et pesant dix kilogrammes. Ce poisson est assez abondant autour des îles du Pacifique, où on le recherche à cause de la délicatesse et de la saveur de sa chair. L’équipage du Marceau était donc tout joyeux de cette bonne aubaine et fort loin de se douter que cet aliment si connu pût être la cause d’aucun accident. Mais sur les treize personnes qui en mangèrent, douze furent atteintes à un degré plus au moins sérieux pendant la nuit qui suivit le repas. Des douleurs très-vives dans les muscles des membres tourmentèrent ces malheureux qu’une lassitude et une faiblesse générale accablaient. Ils ressentaient en même temps un picotement général à la peau
Port de l’île Ducos, baie de Saint-Vincent. — Dessin de Jules Noël, d’après une photographie.
des mains et à la plante des pieds. Heureusement, dans cette circonstance on n’eut à déplorer la mort de personne.

Ces intoxications anormales et sans lois appréciables étonneront moins si l’on remarque que les naturels eux-mêmes ne savent pas toujours se préserver de ces accidents. À l’île Houen, il y a quelques années, plusieurs indigènes périrent empoisonnés par un poisson d’espèce connue. Ces sauvages s’imaginent que de mauvais génies se cachent quelquefois dans les corps des poissons pour leur jouer de mauvais tours.

Cette superstition n’empêche pas les insulaires du littoral, au sud surtout, d’être essentiellement pêcheurs. Ils déploient comme tels autant d’intelligence que de hardiesse. Il faut les voir poursuivre jusque sous les eaux une tortue qui leur a échappé à la surface de la mer et lutter avec elle corps à corps sur les récifs madréporiques. Pour éviter l’asphyxie, la tortue agit comme l’homme et remonte à la surface, entraînant avec elle son ennemi qui la tient par la queue ou par la patte. C’est le moment que saisissent les compagnons du plongeur pour lui venir en aide et soulever jusque sur leur pirogue le pesant animal. Cette lutte n’est jamais sans danger, car, outre les requins toujours rôdant le long des récifs, ceux-ci recèlent dans leurs anfractuosités des raies gigantesques, dont la queue, armée d’une forte scie double, fait d’horribles blessures difficiles à guérir. J’ai vu ainsi un plongeur, atteint par une de ces affreuses bêtes, remonter dans sa pirogue avec la cuisse labourée et ouverte jusqu’au fémur. Il mourut le lendemain.

La plus curieuse pêche indigène dont j’aie été témoin dans la Nouvelle-Calédonie eut lieu pendant mon séjour à Balade. Il était environ cinq heures du soir ; assis sur le bord de la mer près du village de Maha-