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Page:Le Tour du monde - 18.djvu/60

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claudication étaient les seuls indices de son ancienne blessure. — L’adresse chirurgicale des Néo-Calédoniens est généralement bien reconnue. Je me souviens à cet égard d’un travailleur indigène qui se cassa la jambe à Koé, chez M. Joubert ; celui-ci envoya à Noumea chercher un chirurgien. Dans l’intervalle les amis du blessé établirent un pansement avec des éclisses, des bandelettes d’écorce, et lorsque le docteur arriva, il avoua, après examen, qu’il n’y avait rien de mieux à faire.

Quant à mon jeune prisonnier, il arriva sain et sauf à Gatope, où, conjointement avec deux officiers témoins de sa capture, je dressai un certificat, qui au besoin pût lui servir de pièce d’état civil ou d’acte de notoriété publique.

Nous fixâmes approximativement son âge entre huit et dix ans. J’avais l’intention d’emmener cet enfant en France ; il paraissait très-doux ; je voulais l’instruire et, si c’était possible, lui créer une position convenable, mais il n’est pas permis d’emmener un indigène sans l’autorisation de M. le gouverneur, et cette autorisation me fut refusée.

Il est vrai de dire que la seule tentative faite jusqu’ici pour emmener en France ces indigènes a été malheureuse. En effet de jeunes Calédoniens, au nombre de trois, je crois, furent conduits en France et y restèrent une année environ. Au bout de ce temps on les embarqua sur une frégate qui devait les ramener dans leur patrie. Mais bien près d’y arriver, aux environs de Sidney, ils moururent tous de la même affection : du mal de gorge. Il faut ajouter que ces jeunes gens étaient déjà trop âgés pour oublier leur
Papillon de la Nouvelle-Calédonie[1]. — Dessin de Mesnel d’après un sujet de l’exposition des colonies.
patrie et pour ne pas souffrir beaucoup d’en être séparés ; ensuite, à bord de la frégate, ils furent embarqués comme matelots, et par suite exposés à toutes les intempéries et les misères d’une longue traversée sur un bâtiment de guerre… Ils périrent faute de soleil et accablés d’ennuis.

Mon jeune prisonnier de Pamalé n’a heureusement pas eu un sort aussi triste. Il fut placé à l’école indigène ; bientôt il parla couramment le français ; il était d’une nature douce et intelligente. Chaque fois qu’il m’apercevait, se rappelant toutes les circonstances qui avaient marqué notre première rencontre, il venait heureux et souriant me donner la main et restait auprès de moi aussi longtemps qu’il lui était possible.




L’épisode de Pamalé fut le dernier des événements militaires dont la baie de Chasseloup avait été le point de départ. On laissa à Gatope une garnison de cinquante hommes qui s’occupèrent d’abord de la construction de leurs logements. Le commandant de ce poste profitant de l’humeur belliqueuse des alliés du voisinage, des sujets de Mango, les organisa en compagnie militaire et les mit au courant de l’école du soldat. J’ai, dans mon album une photographie qui représente cette compagnie sous les armes. Poigni, le fils de Mango, est en tête, vêtu d’une vareuse de matelot. Chacun des autres braves n’a pour vêtement que son fusil et sa giberne.

  1. Ce papillon est très-nombreux dans les clairières et à la lisière des bois. Dans notre dessin, qui reproduit très-exactement sa taille et sa forme, on ne saurait deviner l’éclat de ses ailes qu’on dirait de satin blanc, largement liséré de bleu.