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montagnes dont les flancs étaient couverts de sombres forêts d’arbres verts au-dessus desquels j’entrevoyais, au milieu des nuages, les prairies alpestres du plateau qui domine Karatchoukour. D’un autre côté, mon horizon était borné par les cimes encore blanches des montagnes de Gumuch-Khané et de la chaîne du Schaab-Khané.

Je fis mon installation au milieu de plus de cinquante individus des deux sexes ; mais à l’exception de Mehemet, mon zaptié, personne ne remua seulement un doigt pour m’aider.

Je ne sais ce qui s’était passé dans l’esprit de tous ces gens ; la bienveillance qu’ils m’avaient témoignée au premier moment avait déjà fait place à l’indifférence ou à une froide curiosité. Après bien des pourparlers, j’obtins à peine un peu de nourriture pour nous et nos chevaux.


XIV
Indiscrétion des villageois. – L’iman.

– Chasse entomologique dans la forêt.

– La richesse minerale du pays.


Le lendemain, quand j’entr’ouvris les rideaux de ma tente, un brouillard épais, pluvieux, montait des profondeurs de la vallée et commençait à envahir la montagne ; il m’était impossible de sortir et de commencer mes chasses.

Les indiscrets villageois de la veille revinrent en foule. Avec un sans-gêne incroyable, ils prirent ma place devant le foyer ; puis, sans même me saluer, ils se mirent à causer entre eux. Ils paraissaient ne pas plus s’occuper de moi que si j’avais été absent de ce logis improvisé. Mais ce que leur société avait de plus déplaisant, c’était qu’ils se débarrassaient, près de ma cuisine, de leurs parasites qu’ils n’écrasaient même pas, se contentant de les jeter doucement à terre.

Je voulus me fâcher, les faire déguerpir ; ils me regardèrent d’un air calme, sourirent bêtement et ne bougèrent pas.

Afin de me distraire j’essayai mon revolver, et quelques coups heureux stupéfièrent ces Turcs naïfs. Ma carabine Remington ne les surprit pas moins, et une balle qui alla frapper le tronc d’un gros arbre à plus de trois cents mètres me valut presque leur respect.

Aidé de mon drogman, j’essayai de prendre quelques renseignements sur la faune locale.


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Jeune fille arménienne.


Les chasseurs me promirent des chamois, des chevreuils et des ours. Je leur fis quelques petits cadeaux de poudre pour les encourager.

L’iman, à la fois prêtre et maître d’école, le seul probablement qui sût lire, vint voir le boyourouldi, que m’avait donné le pacha de Trébizonde. Tout d’abord il ne comprit rien au contenu de ce papier ; mais lorsque après quelque temps d’étude il fut parvenu à en deviner à peu près le sens, d’impoli qu’il était d’abord il devint servile, et voulut me faire déménager en me promettant un meilleur logis. – Un homme de ma qualité, disait-il, ne pouvait coucher dehors comme un oiseau. – Je ne lui demandai que de me laisser en repos.

Ainsi se passa la première journée. Le lendemain, le t temps était radieux, et, avant que le soleil eût dépassé les montagnes dont il dorait seulement les sommets, je partis accompagné de mon nouveau zaptié, et, pendant tout le jour, tantôt sous les sombres voûtes des forêts de sapins, tantôt au milieu des prairies, je cherchai des insectes et des plantes ; ma récolte en objets rares et précieux fut abondante. Je n’eus qu’à me louer du zèle du grand gendarme que j’avais choisi, et qui m’apportait, de temps à autre, un coléoptère ou une fleur.

Plusieurs jours s’écoulèrent ainsi avec agrément et utilité. Les enfants du village, plus familiers, venaient m’offrir tous les animaux qu’ils trouvaient. Quelques menues pièces de monnaie stimulaient leur zèle. Les chasseurs tuèrent deux chamois et un chevreuil, dont je préparai la dépouille. Ce gibier vint à propos pour varier mon ordinaire, qui ne s’était composé jusqu’alors que de yaourte d’œufs et d’oignons.

Le pays est d’une grande richesse minérale ; on me fit voir près du village plusieurs mines de cuivre abandonnées. Parmi les scories je découvris quelques morceaux de minerais et des pyrites de fer. Ces mines n’ont qu’une galerie fort petite où l’on ne peut entrer qu’en se courbant.

Au sommet de la montagne, je vis à la surface du sol de superbes échantillons de fer magnétique, mais je n’y découvris aucune trace d’exploitation.

Th. DEYROLLE.

(La suíle à la prochaine livraison.)