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ment des régions incultes du Bas-Canada marcherait à pas de géant s’il ne rencontrait un obstacle que j’ai déjà en l’occasion de signaler. Les routes de terre sont généralement détestables, ce qui rend les transports extrêmement coûteux partout où ne passent ni chemin de fer, ni cours d’eau navigable. M. Tassé a pu écrire sans être démenti que de Saint-Jérôme à Montréal, pour une distance de cinquante kilomètres à peine, le transport d’un minot de blé coûte aussi cher par le roulage ordinaire que s’il venait en chemin de fer de Chicago, ville distante de plus de trois cents lieues. Heureusement que dans ces derniers temps le Rothschild du Bas-Canada, sir Hugh Allan, a entrepris l’exécution d’une voie ferrée qui, partant de Montréal pour aboutir à Hull, en face d’Ottava, méritera le nom que lui ont déjà donné ses fondateurs de « Chemin de la colonisation du Nord ».

Un autre projet grandiose, qui date déjà de quelques années, consisterait à rouvrir au commerce, par des travaux de canalisation, la route autrefois suivie par les canots des voyageurs et des missionnaires qui se rendaient du Saint-Laurent à la baie Géorgienne par l’Outaouais, la Matawin, le lac Nipissingue et la rivière Française. Des devis très-soigneusement étudiés par différents ingénieurs permettent d’estimer à cent millions de francs environ le coût d’établissement d’une voie navigable comprenant seulement soixante à quatre-vingts kilomètres de canaux artificiels entre Montréal, Ottawa et l’embouchure de la rivière Française dans la baie Géorgienne. Des vapeurs de mille tonneaux pourraient alors éviter la navigation, parfois si dangereuse, des lacs Huron, Érié et Ontario, et apporter à Montréal les produits agricoles de l’Ouest, en économisant près de quatre cent cinquante kilomètres sur la distance actuelle de Chicago à Montréal (près de deux mille deux cents kilomètres) par le Saint-Laurent et les lacs, et en gagnant sept cents kilomètres sur celle de Chicago à New-York (deux mille deux cent quatre-vingts kilomètres) par les lacs, le canal Érié et l’Hudson.

Si cette grande entreprise est mise quelque jour à exécution, la vallée supérieure de l’Outaouais subira en peu de temps une transformation complète. Des centres populeux s’établiront partout sur les bords de nombreuses rivières dont le cours, tracé un peu au hasard sur les cartes, n’est guère connu aujourd’hui que de l’Indien et du « voyageur ». Montréal et Québec détourneront à leur profit une partie de ce commerce d’entrepôt qui a fait la grandeur de New-York, et les Français du Bas-Canada, tendant la main aux groupes de « leurs gens » déjà disséminés sur la route du Nord-Ouest, à la baie Géorgienne, au sault Sainte-Marie et dans les hameaux naissants du district d’Algoma, pourront établir solidement leur nationalité sur la rive septentrionale des lacs Huron et Supérieur, le long du futur chemin de fer du Pacifique, dont la première section, partant du lac Nipissingue, devait, d’après les projets précédemment adoptés, passer au nord des grands lacs, assez avant dans l’intérieur des terres. Les arrangements pris par le nouveau ministère retarderont sans doute de quelques années l’exécution de cette portion de la ligne transcontinentale ; elle n’en devra pas moins se faire tôt ou tard, au grand bénéfice de la province de Québec. Si, comme on le prétend, la colonisation est encore possible dans quelques-uns des districts situés au delà de la Hauteur des terres, elle sera surtout l’œuvre des Canadiens-Français, déjà familiarisés avec le mode d’existence que comporte un climat plus rigoureux encore que celui de la rive nord du bas Saint-Laurent.

Ne quittons pas la vallée de l’Outaouais sans dire un mot de ses fameuses mines de fer magnétique, futures rivales de celles de la Suède. Ces magnifiques gisements situés près de Hull, terminus du chemin de fer projeté par sir Hugh Allan, sont appelés à fournir à cette région un élément de prospérité plus durable encore que le commerce des bois. Découverts dès 1827, mais longtemps négligés, faute de moyens de communication et de capitaux, ils renferment, d’après feu sir W. Logan, le savant directeur de l’exploration géologique du Canada, jusqu’à quatre-vingt-seize pour cent d’oxyde de fer magnétique pur, les quatre centièmes de matière étrangère se composant principalement d’un peu de quartz et de graphite. On en extrait actuellement quinze à vingt mille tonnes de minerai par an, rendement bien faible encore, mais susceptible de prendre un énorme accroissement, car les évaluations les plus modérées évaluent à deux cent cinquante millions de tonnes la puissance du dépôt.


IX

Le palais du Parlement. — Architecture polychrome. — Critiques, cancans et caricatures. — Une journée des dupes parlementaire. — Lord Dufferin. — Ma mission à Manitoba. — Incendie.


Le 13 août 1873, il y avait foule aux abords du palais du Parlement. Pour moi, longtemps avant l’heure fixée pour l’ouverture de la séance, muni du talisman de rigueur, une carte d’entrée fort élégante ma foi, avec ses lettres vertes imprimées sur une couverture glacée, j’errais çà et là dans le vaste édifice, en compagnie de mon ami, M. de Saint-Aubin.

Dominant fièrement du haut de Barrack Hill les deux rives de l’Outaouais et la belle chute de la Chaudière, encadrant du côté de la ville une place grandiose, le palais du Parlement et ses deux annexes latérales, qui renferment les départements ministériels, ont réellement fort grand air. En loyal Anglais, l’architecte s’est largement inspiré des réminiscences de Westminster, malheureusement, lui aussi il a sacrifié au goût dépravé de ses compatriotes pour le genre rocaille, la maçonnerie « rustiquée » et les moellons polychromes. Les lignes capricieusement brisées que dessinent les joints de ces moellons découpés en polygones d’une irrégularité voulue, donnent à la façade un faux air de mosaïque ébauchée. Ce n’est ni impo-