sion profonde. Si notre nationalité, représentée hier encore par douze ou quinze mille métis sans cohésion, sans instruction, sans vues d’avenir, parvient à se maintenir entre la rivière Winnipeg et les Rocheuses, l’histoire dira dans quelle large mesure l’archevêque de Saint-Boniface aura contribué à ce résultat. Ce qu’il a conçu, tenté, opéré pour l’amélioration morale et matérielle du pays au temps où gouvernait la Compagnie de la baie d’Hudson, ce qu’il a dépensé d’énergie pendant et après les troubles occasionnés par l’annexion pour maintenir sur le terrain de la légalité une résistance que des provocations insensées pouvaient d’un moment à l’autre faire dégénérer en lutte ouverte, tout cela demanderait plus d’espace que n’en comporte ce travail. Mgr Taché a d’ailleurs pour collaborateurs des hommes remarquables. Tels sont, entre autres, Mgr Grandin, un oblat français, aujourd’hui évêque de Saint-Albert ; le P. Lacombe, auteur de travaux sur divers idiomes indiens ; Mgr Faraud, vicaire apostolique du fleuve Mackenzie ; le P. Petitot, du même vicariat, l’un des derniers lauréats de la Société de géographie de Paris, etc., etc.
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Quelques jours après mon arrivée, j’eus l’occasion de lier connaissance avec l’un des membres les plus marquants du clergé canadien du pays. Messire Ritchot, curé de Saint-Norbert, appelé aussi quelquefois le P. Ritchot, bien qu’il n’appartienne à aucune congrégation régulière, est connu dans toute la « Puissance » grâce au rôle qu’il a joué dans les événements de 1869-1870 ; aussi m’en avait-on parlé à Québec et à Ottawa. La paroisse de Saint-Norbert, ou plutôt le centre de la longue ligne d’habitations qui la composent, n’étant qu’à 15 ou 18 kilomètres de Winnipeg, nous nous y rendîmes un beau matin en voiture, Provencher et moi. Après avoir passé l’Assiniboine sur une sorte de pont-radeau en bois, on suit à travers la Prairie la mince lisière de bois qui borde la Rivière Rouge. De loin en loin, nous rencontrons une habitation entourée de clôtures à claire-voie. Les lots de terre des anciens colons font tous front sur la rivière, sur une étendue de 150 à 200 mètres ; leur profondeur est uniformément de deux milles (3 200 mètres), ce qui donne une surface de 450 à 600 hectares par propriété. En outre, les métis revendiquent le droit exclusif de couper le foin sur deux autres milles de profondeur en arrière de leur lot, et la question a fini, je crois, par être tranchée en leur faveur. C’est environ un sixième de la province qui a été ainsi réservé aux anciens habitants par l’acte de Manitoba (1870). Ce sixième se compose de deux bandes de
- ↑ Cette charge représente Provencher en compagnie d’émigrants français et d’Indiens des « réserves » : les émigrants pleurent de son départ, les Indiens se réjouissent de l’arrivée de leur maître payeur.