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2 LE TOUR DU MONDE.

dans l’Oural, séparant majestueusement l’Europe et l’Asie. Au loin s’étendent les steppes ! Sur le bord de la rivière, opposé à la terrasse, s’élèvent des arbres et de jolies maisons de campagne à demi submergées au printemps par la débâcle ; elles sont ravissantes en été. Nous nous sommes arrêtés quelque temps pour jouir de ce beau spectacle : derrière nous l’Europe, en face de nous l’Asie !

Du côté de l’Europe la rivière est bordée de misérables cabanes échafaudées de manière à ne pas être envahies par les hautes eaux. C’est le quartier pauvre _ des Cosaques. Chaque Cosaque doit avoir au service de la Russie un habillement et un cheval. Aucune femme de cette race ne se résigne à la domesticité ; lui offrît-on lemploi de femme de chambre, elle refuserait et aimerait mieux mourir de faim.

Le ménavoï dwor, grand marché du commerce limi-


trophe, est le plus curieux spectacle d’Orenbourg ;

‘nous nous y rendimes en traineau. Le froid était si

vif que je dus me plonger la figure dans mon manchon ; la curiosité seule me décidait à laisser un peu de jour pour mes yeux. Nous nous cngageämes bravement dans la bagarre : le tumulte était complet ; c’était une tour de Babel en raccourci ; j’entends que toutes les langues — ct quelles langues, juste ciel ! — s’entremêlaient, s’entre-croismient, déroutaient l’attention, chacun voulant crier et vanter sa marchandise plus fort que son voisin. Ainsi que le langage, le costume était des plus variés : on y frôlait la longue robe du Tatar, le manteau fourré du Kirghise, le khalat (caftan) ouaté du Sarte ; le tout surmonté des coiffures les plus diversès, depuis le bonnet pointu garni de fourrures du Bachkir jusqu’au turban du marchand boukharien.

Nous avancions toujours dans cet immense caravan-























Un caravansérail à Orenbourg. — Dessin de Barclay, d’après une photographie.

sérail que je renonce à décrire en détail. Les objets d’art n’y tenatent pas la plus grande place, loin de là. C’est en effet au marché surtout qu’on apprécie la part léonine des besoins matériels et. l’impérieuse reven-

dication des exigences de l’estomac. Mais, si banal.

qu’il soit, le spectacle devient grandiose dans cette

ville frontière, marché européen et asiatique à la fois,

où l’on a comme le pressentiment d’un monde rajeuni cui fermente pour une nouvelle existence. Quels sont les instincts dominants de cette foule ? Quelle idée commune agite ces têtes ? Un sentiment général fait-il battre ces cœurs ? Cctte avant-garde, derrière lacçuelle on devine des hordes immenses, descendra-t-elle encore un Jour vers l’Occident ? Ces énigmes nuageuses, qui se. présentaient à mon imagination, étaient condensées par un froid de vingt-six degrés Réaumur.

À sept heures du soir on me conduisit, en compagnie de Mme L..., fille du gouverneur général d’Oren-


bourg, à la mosquée que nous avait déjà annoncée la tour élancéc de son minaret d’où le mollah parle à la lune et crie cinq fois par jour les heures de la prière. Elle était éclairée pour notre visite et tous ses vitraux resplendissaient. L’édifice est une réduction des mosquées de Constantinople, cylindrique, avec une coupole dont les paroïs sont gracieusement sculptées. Les murs sont en marbre ct couverts d’inscriptions en lettres d’or tirées du Coran. Elle a été bâtie en 1840.

Le mollah nous souhaita la bienvenue et un heureux voyage et nous proposa de visiter sa demeure qui n’était qu’à deux pas de là. L’invitation fut acceptéc avec empressement. Un instant après, nous entrions dans un salon carré, meublé de chaises, d’un canapé, - de coffres, d’une glace moderne et d’une nombreuse collection de coussins. Devant le canapé, une table était dressée pour le thé.

Notre hôte nous invita à visiter aussi son harèm :