profond et pur comme un ciel de Grèce ou d’Italie, on distingue les Alpes aux neiges éternelles.
Un peu plus bas, dans la direction des plateaux inférieurs, la nature a rassemblé les essences les plus variées et la plus riche flore : le sapin, le pin, le chêne, le noyer, le hêtre, le tremble, le frêne, le tilleul, le sorbier, le bouleau, le coudrier, l’alisier, le sureau, l’érable, le pommier, le poirier, le cerisier, l’acacia, le peuplier, le saule, etc. J’ai relevé un jour, sur un espace assez restreint, plus de soixante espèces différentes, sans parler des arbustes, groseilliers sauvages, rosiers des Alpes, mûriers, framboisiers, prunelliers, chèvrefeuilles, lianes, dont la nomenclature remplirait un gros livre. La Franche-Comté produit tout, elle a tout : le vin, le blé, les céréales, les légumes, les fruits, le bétail, le gibier et le poisson. On peut l’enfermer dans un cercle d’airain, elle nourrira tous ses enfants sans rien demander au reste du monde.
Il fut un temps où ses frontières étaient infranchissables. En 1815, Chambure, chef d’un corps franc, a arrêté là la Confédération du Rhin, l’armée royale et les Suisses, avec sa garde infernale de cent cinquante hommes, la moitié de la légion de Léonidas aux Thermopyles. Le 2 juillet, Blücher était à Saint-Cloud, Paris s’étourdissait au son de la musique, et cette frontière était encore fermée. Les baïonnettes des soldats de Chambure brillaient sur ces rochers, comme autrefois les feux allumés sur les pas de César pour annoncer la révolte des Gaules… C’est par là que notre malheureuse armée de l’Est, perdue dans les neiges, a pu gagner la Suisse hospitalière.
La troisième route remonte la vallée du Doubs, du côté de la Suisse, par la Roche, Soulce, Montjoye, Vaufrey, Glères et Bremoncourt, dernier village français, séparé par un pont de la Motte, premier village suisse.
La quatrième suit la vallée de Dessoubre jusqu’à sa source, et conduit à Morteau par Lavoyèze, le pont de Fleurey, Saint-Maurice et Consolation[1].
Ce sont ces deux vallées que nous allons parcourir. La première est le chemin de Roche-d’Or, la seconde celui du Saut-du-Doubs.
ROCHE-D’OR.
Le soleil va disparaître derrière les cimes des montagnes ensoleillées dont le pied est déjà noyé dans une ombre crépusculaire. L’astre se couche dans sa gloire, laissant traîner sous les nuages la pourpre de son manteau oriental.
En sortant de la ville par la vallée d’Or, l’œil embrasse le panorama de son vaste cirque. C’est l’heure de la grande mélancolie du soir. Les troupeaux descendent des pâtures ; on entend le bêlement plaintif des moutons, la note grêle et saccadée des chèvres, le mugissement profond des bœufs, la cloche sonore des vaches laitières, et, par intervalles, l’appel lointain du cornet d’un pâtre. C’est aussi l’heure où les laboureurs reviennent du travail des champs. Toutes les cheminées fument, embaumant l’air d’une odeur de genièvre ; une vapeur bleue flotte dans l’atmosphère, et des colonnes légères montent droites vers le ciel comme un encens rustique. L’angélus du soir tinte au clocher carré de l’église. Le vieux couvent en façade se profile avec sa terrasse, haute comme une fortification de guerre. La chapelle de Notre-Dame-du-Mont se dessine sur un contrefort des colosses granitiques, et son toit métallique brille aux derniers feux du couchant. Au ciel, d’un bleu intense et profond, les nuages ensanglantés reflètent leurs tourbillons avec des lueurs d’incendie sur les flots assombris de la rivière bordée de saules et de peupliers. Dans une grande traînée lumineuse, le pont de pierre mire l’ombre immobile de ses arches formant des cercles noirs sur les flots clairs. Au confluent du Doubs et du Dessoubre, une petite île verdoyante, à la plage de sable jaune, ressemble à une émeraude enchâssée dans un anneau d’or. Plus loin, un jardin bâti en terrasses superposées au pied d’une montagne, figure l’escalier de quelque sombre temple aux marches chargées de fleurs. Par-ci par-là, suspendue sur les abîmes, une ferme blanche se découpe comme une tache de neige sur le velours largement ondulé des pâtures. Au fond, coupant le ciel en droite ligne, une couronne horizontale de rochers, à pic comme des falaises, domine l’étendue.
La vallée du Doubs, surnommée la vallée d’Or, à cause du sablon de son lit qui, dit-on, roule des paillettes, serpente entre deux chaînes très élevées dont les flancs sont boisés. Au premier tournant de la route, on aperçoit le Château de la Roche.
Ce qu’on désigne sous le nom de Château de la Roche est un souterrain naturel qui s’enfonce dans les flancs de la montagne à une immense profondeur, sous un rideau de rochers perpendiculaires, d’une hauteur de deux cent cinquante pieds sur une longueur horizontale de quinze cents. Des plantes et des arbustes, accrochés dans les crevasses, forment un magnifique encadrement de verdure à l’ouverture cintrée, qui mesure cent cinquante pieds d’élévation sur soixante de largeur. À l’entrée, un écho répète sept fois le cri des aigles. En avançant, on marche en ligne brisée sous les voûtes où pendent des stalactites en forme de cônes renversés, qui brillent à la
- ↑ Outre ces quatre routes, de nombreux chemins de montagne
conduisent à des villages et à des fermes. L’un va au Château de la
Roche par derrière les Vergers, les Seignes, le Rocher qui pleure,
la ferme et le moulin. — Un autre va à la Barbèche par les Cent-Ans,
Biel, Chaux et Châtillon. — Un troisième rejoint le village de
Montandon, au-dessus du Fondereau, par Blanche-Terre. — Un
quatrième conduit aux villages de Chamesol et de Montécheroux,
par la chapelle de Notre-Dame-du-Mont, en suivant un large et
vaste plateau.
Quand on interroge une carte d’état-major, on voit par quelles courbes des chemins, qui semblent conduire à des directions opposées, se rejoignent au sommet de la même montagne. Cette particularité s’explique par le croisement des spirales tournantes.