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lueur des torches. Le terrain marneux devient glissant. Au fond, coule un torrent qui s’échappe en triple cascade à la base extérieure des rochers. On peut le traverser sur une planche, mais la voûte s’abaisse, et, même en se courbant, il est impossible d’aller bien loin.

Le château, dont il ne reste aucune ruine debout, devait être perché sur le plateau comme un nid d’aigle. On voit encore au bas les vestiges d’une épaisse muraille avancée qui défendait l’approche du souterrain. Les seigneurs de la Roche s’y établirent pendant les guerres du comté de Bourgogne, et en firent le lieu fort des villages de leur dépendance. « D’après la tradition, l’armée du duc de Saxe-Weimar, qui ravageait la Comté, s’avança jusqu’au château pour l’emporter d’assaut, et le trouva défendu par quatre-vingts montagnards. Une fois que les assiégeants furent engagés dans le sentier profondément creusé, les montagnards roulèrent d’énormes roches qui écrasèrent une partie de l’armée, dont le reste se replia[1]. » Il suffit d’ailleurs de lire les annales de la Franche-Comté pour y trouver, à chaque page, une lutte héroïque et terrible, et son histoire tient dans un vieux dicton populaire de la province :

Comtois, rends-toi.
— Nenni, ma loi.

Le château de la Roche fut détruit en 1668, par ordre de Louis XIV. Depuis Henri IV, père du peuple, la Franche-Comté brûlait comme une mauvaise herbe.

La gorge, étroite et solitaire, va s’élargissant toujours quand on approche du village de Montjoye, et se développe du côté de Vaufrey (vallée où l’eau coule doucement). Ces deux villages sont reliés par un sentier, bordé de haies vives, sur la rive droite du Doubs.

La vallée d’Or. — Dessin de Th. Weber, d’après une photographie.

Nous sommes debout à minuit, après quelques heures de repos et une collation qui rendent leur élasticité à nos jarrets de montagnards. On est au mois de juillet, à la suite d’une longue série de belles journées, et nous pouvons espérer de voir un des plus sublimes spectacles de la nature : le lever du soleil sur les cimes dominées par Roche-d’Or, le pic le plus élevé de notre frontière orientale.

« Il forme une des extrémités du Mont-Terrible ou Monterri, chaînon du Jura bernois, plus particulièrement désigné là sous le nom de Lomont, jusqu’à Bellerive, près de Delémont, et sous la première République il donnait son nom à un département français. Au nombre des points culminants, on cite le Montgremay et le Repais, Le Mont-Terrible lui-même porte le nom de Jules-César, et on y voit encore les traces d’une station militaire romaine[2]. »

De Suisse et de France, plusieurs chemins mènent à Roche-d’Or. De Vaufrey, l’ascension se fait directement par des sentiers de montagne.

Nous voilà en route. Le paysage nocturne est éclairé par un beau clair de lune. Le ciel est poudré d’étoiles, qui scintillent comme une poussière de diamants sur le sombre manteau de la Nuit. La cime des montagnes se découpe sous l’horizon comme l’échine onduleuse d’un gigantesque reptile, sur laquelle courent de grands nuages déchirés en fantastiques chevauchées.

Cependant, au milieu du grand silence de la terre endormie, on entend le souffle de sa respiration profonde. Chaque arbre dont les feuilles sont agitées par le vent a une harmonie distincte et particulière ; par

  1. Bouillet, Dictionnaire d’histoire et de géographie.
  2. Adolphe Joanne, Itinéraire de la Suisse.