Page:Le Tour du monde - 39.djvu/416

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Presque au niveau de la route, on a extrait du sable, et on voit çà et là des couches rouges et jaunes semblables à des blessures. D’énormes quartiers de rocs, qui se sont détachés dans quelque tourmente, gisent au milieu des buissons. La rivière, profondément encaissée, roule sans bruit ses eaux dormantes.

Les larges flocons blancs qui nagent dans le ciel, où meurent les dernières étoiles, commencent à prendre des teintes roses.

À chaque spirale de la route, un nouveau panorama se déroule. Les montagnes étagées en amphithéâtre, dont la croupe se dore, s’escaladent et fuient, sous l’horizon bleu, en perspective infinie. Les brouillards, qui flottent à leurs flancs en écharpes de gaze, descendent à leur pied avec des ondulations lentes dans les grandes zones d’ombre, et se dissipent en vapeur comme la fumée légère de l’encens qui flotte aux voûtes des cathédrales.

Au bord des fontaines et des sources vives, qui courent sur les cailloux et se perdent dans les mousses, au-dessus des buissons et des haies, les branches flexibles se balancent sous l’élan d’un oiseau. On entend de tous côtés des frôlements d’ailes et des petits cris. Des volées d’alouettes filent dans la nue. Les merles à bec jaune sifflent, les mésanges bleues, les pinsons, les rouges-gorges leur répondent, les geais ramagent, les tourterelles des bois roucoulent, les moineaux rassemblés tapagent dans les arbres, les corbeaux jettent leur koie discordant du haut des chênes. La note claire d’un coq éclate dans le lointain comme une fanfare.

Les sources du Lison (voy. p. 411). — Dessin de Th. Weber, d’après une photographie.

Sur le vert éclatant des pâturages, semés de métairies, les vaches laitières aux flancs rebondis agitent leur grosse cloche, les bœufs accroupis ruminent dans une impassible contemplation, les poulains échevelés, perchés sur leurs quatre fuseaux, gambadent autour du paisible cheval comtois, les moutons paissent sur la lisière des côtes, les chèvres, suivies de cabris folâtres, font tinter leurs clochettes, et s’arc-boutent suspendues aux roches grises couronnées d’arbustes grêles.

Dans le ciel vide, les aigles, rois solitaires des cimes inaccessibles, vainqueurs des nuages et bercés dans l’étendue, donnent de grands coups d’aile et s’élancent dans les routes sidérales au-devant de la lumière.

Ainsi, l’ombre fait place à la lumière, le silence au bruit, le sommeil à l’activité de la vie. Du ciel et de la terre s’élève une sourde et puissante harmonie. La nature salue l’aurore, et le chœur universel des êtres chante le réveil du jour.