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Nous pouvons dire, sans esprit de clocher, que les aspects du Doubs sont d’une admirable beauté. Nous ne ferons que mentionner ici le Moulin de la Mort. Un sentier tortueux, qui part du bord opposé, s’arrête au pied d’un rempart de rochers au sommet desquels on monte par les Échelles de la Mort. C’est là qu’on voit, sur les flancs des montagnes, ces blocs de pierre blanche découpés en forme de figures humaines, et les cimes se couronner de roches colossales semblables à des manoirs de géants. Mais, avant d’aller plus loin, il convient de marquer ici le parcours de la rivière qui est la marraine du département du Doubs. Nous ne pouvons mieux faire que de donner la description si exacte et si pittoresque qui figure dans la Géographie de la France, par M. Onésime Reclus, et les dessins qu’elle encadre n’ont pas besoin d’autres commentaires.



Le Doubs a quatre cent trente kilomètres de longueur, et cependant quatre-vingt-dix à quatre-vingt-quinze kilomètres seulement séparent sa source de son embouchure ; il n’est peut-être pas de grande rivière qui prenne plus le chemin des écoliers. Au confluent avec la Saône, il roule au moins autant d’eau qu’elle, et sa course dépasse de cent soixante-cinq kilomètres la route qu’a suivie la paisible rivière bourguignonne. Le Doubs, d’un bleu merveilleux, reste longtemps prisonnier des fissures profondes de ce Jura qui l’a vu sourdre sur un de ses plateaux, par neuf cent trente-sept mètres au-dessus des mers, près de Mouthe, dans une caverne du Noirmont (douze cent quatre-vingt-dix-neuf mètres). Il traverse le lac de Saint-Point, long de sept kilomètres, à huit cent cinquante mètres d’altitude. Il est encore très faible devant Pontarlier, et plus bas son lit fêlé laissait fuir tant d’eau, qu’au fort de la saison sèche la rivière cessait de couler en aval d’Arçon ; mais les trous, les fentes, les entonnoirs qui buvaient son onde estivale, ont cessé de la boire, depuis qu’ils sont environnés de murailles supérieures au niveau moyen du courant, inférieures au niveau des crues ; de la sorte, en eaux sauvages, le flot surabondant continue d’entrer sous terre, pour aller rebondir on ne sait par quelle source, ou disparaître à jamais on ne sait dans quels abîmes. Par l’obstacle de ces murs, une moyenne de quatre mètres par seconde échappe à l’avidité des gouffres, et il n’y a plus de déchirures dans le ruban bleu du Doubs.

Au dessous de Morteau, dans un trajet où il sépare la France de la Suisse française ou romande, il s’amortit en un lac de trois kilomètres qui n’a que quatre cents mètres de largeur, le lac de Chaillexon ou des Brenets ; mais bientôt ses eaux s’irritent contre les écueils du Tracoulot, corridor étroit dans la roche, et tout à coup elles tombent de vingt-sept mètres dans un gouffre de profondeur inconnue : c’est là le fameux Saut-du-Doubs. Longtemps encore, dans une anfractuosité de deux à trois cents mètres de profondeur, il continue à séparer la France de la Suisse, et va même faire un grand détour dans la libre Helvétie. Il ne s’apaise, et de torrent dans les gorges ne devient rivière en vallée que beaucoup plus bas, en aval de Baume-les-Dames, vers Besançon, après avoir reçu le Dessoubre, aux belles sources, aux belles cluses, aux eaux rapides, puis la rivière de Montbéliard, l’Allaine (soixante-cinq kilomètres), suisse par la moitié supérieure de son cours. Au-dessous de Besançon, grande place forte dans une boucle du Doubs, la rivière côtoie la forêt de Chaux, vingt mille hectares de chênes, de charmes, de trembles et de hêtres. La dernière ville riveraine est Dôle.

Le maître affluent du Doubs, la Loue (cent quarante kilomètres), rivalise de loin avec la Touvre par la grandeur de sa source, et ressemble à la Sorgues de Vaucluse par la sublimité des roches où sa fontaine passe de l’obscurité des grottes à la lumière du soleil. Elle sort en cascade, entre Ornans et Pontarlier, d’une paroi de cent dix mètres de hauteur, et descend par une gorge sinueuse qui, dans le bus pays, devient le fertile bassin nommé le Val d’Amour. On a prétendu que le vrai nom de cette rivière est Louve, et que ce nom, elle le doit à l’impétuosité des eaux qui tombent de sa grotte natale. Devant la claire et fraîche abondance des flots qu’amène au jour sa caverne originaire, on s’est demandé d’où tant d’eau pouvait provenir : on a pensé d’abord aux pertes du Doubs en aval d’Arçon, mais la Loue est évidemment la renaissance des ruisseaux bus par les plateaux qui dominent au loin le cirque de la source.

La Loue reçoit le fameux Lison. Divers gouffres arrêtent les biefs ou ruisseaux d’un des plateaux comtois, notamment le Puits Billard, profond de trois cents mètres ; ils unissent par d’invisibles canaux les eaux qu’ils ont aspirées, puis, tout d’un coup, près de Nans-sous-Saint-Anne, dans un admirable Bout-du-Monde, à la gueule d’une caverne, apparaît le Lison, tombant aussitôt en cascade avec un tel flot d’ondes, que la Loue l’égalerait à peine au confluent sans le tribut que vient de lui verser la fontaine du Mène au-dessous de Cléron.


Le col des Roches. Tunnel des Brenets (voy. p. 413). — Dessin de Th. Weber, d’après une photographie.

À quelque distance de Morteau, le paysage s’élargit. On traverse un grand bois de sapins alignés comme des piliers qui s’effilent dans la nue. Avant d’arriver au Col des Roches, la voiture longe un précipice. Du côté opposé, des métairies se détachent suspendues sur l’abîme.

Le Col des Roches est un énorme rocher, ouvert de la base au sommet en triangle renversé. On dirait de loin une cathédrale aux deux clochers pointus.