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Plus tard la famille de Montesquieu posséda le vieux château de la Malène, qui peut-être avait été construit sur l’emplacement de l’antique forteresse, et elle fit élever au bord du Tarn le nouveau château, qu’elle habite encore. En 1793 ce château, qui a été restauré, fut dévasté par l’incendie, et il ne reste des anciens bâtiments que les tours et les parties voûtées.

À la même époque, lors de l’échauffourée royaliste de Charrier, les troupes républicaines mirent le fou au village, et c’est, paraît-il, à la fumée huileuse d’une maison remplie de noix et adossée au rocher, qu’il faut attribuer la singulière coloration noire de la falaise. L’incendie causa d’ailleurs peu de mal aux maisons, la plupart étant voûtées jusqu’au dernier étage.

En face de la Malène, sur la rive gauche du Tarn, on a récemment érigé une grande statue de la Vierge, au-dessus d’une grotte à l’entrée de laquelle on a construit une chapelle sous l’invocation de Notre-Dame de Lourdes. De la plate-forme on a une vue magnifique, sur la Malène entourée de vignes (excellent vin) ; sur le cagnon en amont et en aval. Il en est de même de la route de voitures qui monte sur le causse Méjan et qui, au Mas Saint-Chély, va se souder à la route de Sainte-Énimie à Meyrueis ou à Florac. Un peu en aval du pont, sur la rive gauche, est la belle source de Galène.


Avant de descendre le cagnon en barque, allons le reconnaître des murailles du causse de Sauveterre. Ce sera une promenade de toute une journée, si vous voulez bien me suivre, car nous ferons un grand détour, afin d’éviter de parcourir deux fois le même chemin. De la sorte nous verrons le sentier de la Caze et de Laval du Tarn, nous traverserons, en retour, un grand coin du causse jusqu’à Saint-Georges de Lévejac, et de là, bordant une partie de la muraille, nous irons descendre à la Malène par la route de la Canourgue.

Le sentier remonte la rive droite, passe à côté du moulin et longe la rivière : très ombragé, il est charmant avec sa bordure de grands escarpements, ses encorbellements de roches, et la belle végétation qui l’entoure ; la flore en est très riche, dit-on. Mais nous avons déjà entrevu tout cela, en descendant en barque.

Une heure quinze minutes de marche et nous sommes derrière le château de la Caze. Buvons une dernière gorgée d’eau à la source, nous n’en rencontrerons plus une seule dans tout le parcours, et, laissant à droite, sans le voir, le sentier du pas de l’Escalette qui nous conduirait à Pougnadoires, grimpons vers le causse par un chemin muletier, tracé en lacets au milieu des taillis, des broussailles, et plus haut au travers de maigres pâturages. Cette petite escalade sur l’éperon rocheux qui sépare la Caze de Pougnadoires est des plus faciles, et les vues sont fort belles, tantôt sur les murailles du causse Méjan et une partie des gorges en amont et en aval, tantôt sur les gracieux massifs de verdure qui au gré des lacets de la route nous cachent en partie la Caze ou Pougnadoires. Une fois sur le causse, on ne voit plus que le fronton de roches du causse Méjan.


Le 14 juillet 1884, après deux heures de marche, j’étais à Laval du Tarn avec Fortuné Paradan, de Sainte-Énimie, qui, pendant plusieurs jours, m’a accompagné dans mes courses et dont j’ai été très satisfait ; il est très sobre ; pas bavard, tout en étant de bonne humeur, et connaît bien le pays. Je traverse Laval sans m’y arrêter et tourne à l’ouest, revenant ainsi du côté de la Malène.

La partie du causse de Sauveterre située à l’ouest de Laval du Tarn est assez différente d’aspect des parties orientales du causse, traversées par les routes de Balsièges à Sainte-Énimie ou à Ispagnac. Ici les couronnes ou mamelons sont généralement couvertes de bouquets de pins ; les groupes d’habitations sont moins éloignés les uns des autres, les traces de culture moins rares ; les sotchs ou creux, en forme de cratères de volcans dont le fond serait plat et où l’on cultive du seigle ou de l’avoine, plus nombreux, plus grands et plus verts, comme si la couche d’humus y était plus profonde. Pas une goutte d’eau d’ailleurs. Pourtant le sol est moins âpre, moins hostile à l’homme que dans la partie orientale[1]. C’est encore une immense solitude, mais ce n’est plus tout à fait le désert. Quelques jours avant, j’avais éprouvé cette même impression sur la partie occidentale du causse Méjan en allant du Truel, dans la vallée de la Jonte, à Saint-Pierre des Tripiers ou Trépieds et à la Malène. À quoi tient cette différence ? Est-ce à la différence d’altitude, la table jurassique des grands causses Méjan et Sauveterre qui vient butter contre les granits de l’Aigoual, du Bougès et des monts Lozère s’abaissant peu à peu de l’est-sud-est à l’ouest-nord-ouest ? Est-ce à l’apport plus fréquent d’humidité des vents d’ouest ? Je ne sais, mais certainement la différence existe.

Voici Perieyres, avec sa couronne boisée et sa lavogne ; un peu plus loin, c’est Rausas. À droite, à gauche, de tous côtés les mamelons bornent la vue ; puis nous longeons des sotchs cultivés, nous traversons des planées pierreuses ; pas un rocher, rien que de petites pierres, mais comme s’il en pleuvait ; sur les pentes sont des bouquets de pins. Rien ne trouble le silence, ni bêtes, ni gens, pas même l’aboi d’un chien. Je ne saurais trouver d’expressions pour rendre le charme étrange, exquis et très puissant de cette solitude ensoleillée, de ce silence absolu.

Tout à coup, par une grande échancrure du causse, nous voyons au sud la muraille du causse Méjan ; c’est l’ouverture du ravin de Coquenas qui descend à la Malène. Bientôt après, nous croisons la route de la Canourgue, et, traversant des bois de pins et un petit bouquet de chênes, nous arrivons à Monziols ; à deux heures nous sommes aux Fons et à deux heures vingt minutes à Saint-Georges de Lévejac (891 mètres).

  1. J’ai parcouru les différents causses tantôt au mois de juillet, tantôt en septembre, et chaque fois j’ai eu une impression analogue.