ne puis résister au désir de la raconter de nouveau.
À une époque très ancienne, le ministre d’État Tsang conduisit dans une chambre écartée sa fille, qui était jeune, fort belle et pas encore mariée, et il lui dit : « Mon enfant, si quelqu’un a une bonne récolte, doit-il la conserver pour lui, ou bien la donner à quelqu’un de ses voisins ou amis ? — Comment mon auguste père peut-il me faire une telle question ? il doit garder sa moisson pour lui et sa famille. — Eh bien, tu as prononcé toi-même ta sentence : tu es ma fleur, mon fruit, et tu ne seras qu’à moi. » Et il en fit sa femme. De désespoir, elle se suicida. Bientôt survint en Corée une grande sécheresse, et malgré tous les sacrifices offerts aux dieux par le souverain et tous les mandarins, le ciel restant d’airain, une multitude de gens moururent de la famine. Le roi invita alors tous les fonctionnaires à se joindre à lui pour délibérer à ce sujet, et l’étonnement fut grand quand le ministre Tsang se présenta au conseil, son chapeau couvert de rosée lorsque le soleil brillait des feux les plus ardents. Le roi fit aussitôt arrêter le général, et celui-ci avoua son crime au milieu des tortures. Il fut en conséquence condamné à être coupé en morceaux, et dès lors on plaça son effigie sur les poteaux des routes pour rappeler à tous que le châtiment de la faute d’un seul s’étend souvent sur tout un pays,
Voici que, par un étrange hasard, vient au-devant de nous un malheureux prisonnier, la tête prise dans une cangue ; il marche péniblement auprès du satellite mandarinal qui le conduit à la prison. Celle-ci correspond comme degré d’horreur à toute l’atrocité de la question et des divers supplices dont nous montrons deux dessins terrifiants. Toutes ces cruautés sont justifiées en Corée par cette idée que toute faute commise atteint la famille, base de l’humanité, et par là même mérite les plus grands châtiments.
Une quatrième ascension nous conduit dans la plaine de Ma-tchou-kori, ce qui veut dire : « Nourriture des chevaux du roi ». Je m’aperçois là qu’un des nôtres tire ses pauvres jambes de la plus piteuse façon. Je m’approche du malheureux, et constate qu’on a doublé sa charge de sapèques et qu’il n’en est pas plus fier. Aussitôt sur mon ordre on dételle le pauvre animal, qui, subitement déchargé du poids qu’il maintenait à grand-peine en équilibre sur ses membres raidis, tombe à terre, puis de suite courageusement se relève. Je le caresse de la main, et comprenant que l’anémique poney refusé d’abord par moi est absolument sacrifié, j’ordonne l’échange des selles avec le plus brillant des porteurs, qui est peu chargé. Grande réclamation des propriétaires des chevaux. « Je n’admets aucune observation, car il est juste, dis-je, que les forts portent la plus lourde charge, et, que cela leur plaise ou non, il en sera ainsi durant tout le voyage, car je veux conduire ma caravane à bon port sans perdre ni un homme ni une bête. » On se remet donc en marche, eux fort mécontents et moi charmé de cet incident qui me vaudra dans l’avenir, par les résultats que j’en attends, la confiance absolue de mon escorte. Deux heures plus tard, nous sommes à Ta-ri-net, où eut lieu une sanglante bataille entre Coréens et Chinois, puis nous gagnons Han-ko-oune. Le jour commençant à tomber, nous nous arrêtons à l’auberge. Mon cheval franchit la barre transversale du bas de la porte extérieure, pendant que je me penche à demi sur lui pour ne pas heurter mon front à la solive