langue généralement parlée en Corée. Aussi, dans l’embarras général tous mes hommes se réunissent autour de moi et prétendent qu’ayant su voyager dans leur pays que je ne connaissais pas, je dois faire de même dans celui-ci. Le cas est assez gênant, car notre guide affirme qu’il n’y a pas d’auberge à Fou-san. Dans l’impossibilité d’obtenir de lui, vu son patois, aucun autre renseignement, c’est avec la plus grande difficulté, qu’aidé de mon interprète, je puis lui donner l’ordre de nous conduire à la concession étrangère. Je pénètre à sa suite dans la ville, et arrive enfin au bureau de police japonais, où se trouve un très aimable employé, avec lequel, grâce aux caractères chinois, on peut enfin s’entendre. Il m’indique un hôtel japonais où je pourrai m’installer avec mes bagages ; mais la caravane devra, à cause des chevaux, chercher un gîte à 5 kilomètres de là, dans la ville coréenne ; quelques minutes plus tard, nous arrivons à mon hôtel.
C’est le moment de solder mes gens, qui avaient déjà reçu des acomptes au départ de Séoul et à Taïkou. Je complète donc la somme due, ajoute une large gratification, doublée pour le petit orphelin, qui, vu la saison, a absolument besoin de vêtements chauds, et prie mes hommes de bien vouloir le ramener avec eux pour l’arracher à la famine. Ils me le promettent, se retirent en me remerciant beaucoup, et je vois avec un véritable sentiment de tristesse s’éloigner ces braves gens, qui paraissent tout aussi chagrins que moi de notre séparation. Vient alors le tour de mes deux soldats et de mon cuisinier. Je leur propose de rentrer à Séoul par la voie de mer ou par terre en suivant la route directe de la poste, beaucoup moins longue que celle que nous avons parcourue ; dans ce dernier cas, ils bénéficieront du prix de leur transport, que je leur payerai. Mes soldats acceptent avec empressement ma dernière proposition. J’appris, depuis, leur heureuse arrivée à Séoul plusieurs jours avant celle du bateau qu’ils auraient dû attendre ici. Quant à mon maître-queux, il hésite ; mais, quelques heures plus tard, ayant trouvé à se placer chez le consul chinois de Fou-san, il vient toucher le prix de son passage, qui est pour lui tout bénéfice. Reste mon interprète ; celui-ci, homme peu curieux des choses de ce monde, mais bon père de famille, refuse le voyage que je lui ai offert de faire avec moi à l’étranger, il préfère en toucher le montant et rentrer parmi les siens. Toutes ces questions réglées, je rentre dans ma chambre, très affecté de tous ces adieux : cela se voit tellement sur mon visage, que les deux petites mousmés qui m’attendent pour me servir mon dîner en sont toutes décontenancées : on est si rarement triste quand on arrive dans un hôtel japonais !
Nous avons traversé complètement le Kyeng-syang-to : disons donc quelques mots de cette magnifique province. Elle est bornée au nord par le Kang-ouen-to, à l’ouest par le Tchyoung-tchyeng-to et le Tyen-la-to, à l’est pas la mer du Japon et au sud par le détroit de Corée. Elle est contournée au nord par la chaîne de montagnes du Syo-paik-san, à l’ouest par le Song-na-san, qui prend aussi d’autres noms, et à l’est par le Oun-mou-san, qui a également diverses appellations. Toutes ces chaînes, en se rejoignant, l’entourent de trois côtés et forment ainsi le bassin du Nak-tong-kang et de ses nombreux affluents et sous-affluents. Les productions naturelles de cette province se rapprochent beaucoup, comme nous l’avons vu durant le cours de notre voyage, des produits du Japon. On y trouve de nombreux et anciens vestiges architecturaux Qui indiquent l’importance du rôle qu’elle a joué dans l’histoire de la Corée : en effet, c’est l’ancien pays des Tchen-han, qui devint plus tard le royaume de Sia-lo, dont le fondateur Ao-ku--sse fit de Taïkou sa résidence habituelle et y installa sa cour. Quelques auteurs pensent avec raison que le royaume de Sia-lo n’est autre que le Si-la où les Arabes établirent au xe siècle d’importants comptoirs commerciaux. Elle fut le boulevard de la Corée à époque des grandes invasions japonaises, notamment au iiie siècle, durant l’expédition commandée en personne par la princesse japonaise Zin-gu, qui avait revêtu le costume de son mari, et dans celles du célèbre sio-goun Hideyosi en 1592 et 1597. Cette province est aujourd’hui divisée en : 4 fok (mou) ou grandes préfectures ; — 11 fou ou villes départementales ; — 14 kou (kiun) ou principautés ; — 1 rei (ling) ou juridictions particulières ; — 34 ken (kian) ou inspections des mines et des salines ; — 11 yk ou directions des postes ; — 24 fo (phou) ou places fortes ; — 2 généraux qui commandent les troupes : — 2 kou-kö (yu-hsou) ou dues ; — 2 commandants de la marine ; — 2 préfets de police générale ; — 10 man-ho (wan-hou) ou chefs de 10 000 hommes ; — 6 directions de douane. La population est estimée à 480 000 habitants d’après les documents officiels dont nous avons parlé. Elle peut donc être presque doublée pour les raisons données précédemment.
Pendant que je mets en ordre les notes prises durant mon voyage, mes deux petites mousmés, assises par terre, me regardent curieusement, m’offrent, quand il en est besoin, du feu pour allumer mes cigarettes, et, comme je les y ai autorisées, fument elles-mêmes leurs pipes minuscules. Lorsqu’elles les ont allumées, rien de curieux comme leur mimique assaut de politesses : elles essuient délicatement l’extrémité des tuyaux avec du papier de soie, se les offrent mutuellement avec un sourire, font l’échange en se saluant d’un gracieux mouvement de tête, puis aspirent une longue bouffé de fumée et la laissent s’échapper lentement dans l’air de la plus coquette façon du monde ; bref, en exécutant ce petit manège sélecto-japonais, elles sont gentilles à croquer. Mais voici que la porte de papier glisse dans sa rainure : mon interprète apparaît et m’annonce que les deux mandarins représentant à Fou-san le gouvernement coréen viennent me voir au reçu de la carte que j’ai eu honneur de leur adresser. Je les fais entrer aussitôt, les remercie de leur aimable visite et les prie de bien vouloir prendre avec moi une