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chapelles catholiques, sont, sans être des chefs-d’œuvre, très intéressantes, vu le sentiment de foi et de reconnaissance envers les dieux que l’artiste rend souvent avec beaucoup de vérité, par l’expression des traits et l’attitude des naufragés. Au pied de la colline sainte s’étend la concession. Construite récemment par les Japonais, c’est une véritable ville de leur pays ; aussi accaparent-ils tout le commerce de ce port. Les affaires y sont si fructueuses que certains marchands gagnent parfois, m’a-t-on dit, plus de cent mille francs par an. Malgré cela, il n’y a guère ici, en dehors des employés de la douane, que deux ou trois Européens. Ce que j’appellerai le Fou-san coréen maritime se trouve à plus d’une lieue du port commercial. On y arrive, en suivant la côte, par une route qui, du haut d’une succession de coteaux, domine la mer de la façon la plus pittoresque. La ville indigène, fort misérable, est en partie habitée par des pécheurs ; les maisons de ceux-ci, situées au bord du détroit de Corée, sont en général précédées de grands trous circulaires d’environ trois mètres de diamètre sur un mètre de profondeur, creusés dans le sol et recouverts de glaise. Quatre pieux de deux mètres de haut, placés perpendiculairement en carré autour de ces réservoirs, supportent une légère toiture de chaume destinée à abriter les engrais de sardines qu’on y prépare pour les exporter en grandes quantités au Japon, où ils servent à fumer les terres. L’interdiction sous peine de mort d’avoir des rapports avec les étrangers empêcha pendant des siècles les marins coréens de prendre la haute mer ; aussi aujourd’hui la plupart de leurs pêcheries sont-elles encore installées sur le rivage. On y dresse d’immenses clôtures en bois, avec une seule entrée, vers laquelle les bateaux pêcheurs poussent les poissons en les effrayant ; puis on ferme l’ouverture pour y prendre tous les prisonniers.

Canons de bronze et de fer du xvie siècle, — Dessin de F. Courboin, d’après une photographie.

Comme je reviens à l’hôtel, j’apprends que le Takachiho-Maru, se rendant à Vladivostok, est arrivé depuis quelques heures et va repartir immédiatement, Je me hâte de régler mon compte à l’hôtel, prends mon billet et arrive à bord presque au moment du départ. MM. Hunt et Watson, que j’y trouve, me présentent au capitaine Walter, au signor Poli, commis des douanes, en vacances, qui va faire tout le voyage avec moi, et à M. Brageer, d’origine écossaise, se rendant à Gen-san pour remplacer un de mes compatriotes, M. Fougerat, dont le congé quinquennal est arrivé. Un coup de sifflet retentit, je remercie une dernière fois les amis qui me quittent ; ils s’embarquent et nous agitons tous nos mouchoirs, eux regagnant terre dans la barque de la douane, tandis que nous prenons la mer dans la direction de Gen-san. Bientôt la nuit arrive, on allume les feux, notre steamer glisse doucement sur une mer sans vagues ; l’air est tiède et doux à respirer, et, assis sur le pont, nous jouissons de toute la sérénité de cette belle soirée, nous laissant aller à la poésie d’un ciel d’azur qui fourmille de millions d’étoiles, quand le capitaine Walter nous invite gracieusement à prendre le cock-tail avec lui. Nous passons dans sa cabine quelques heures charmantes, car le commandant est un homme aussi aimable que gai, et mes deux compagnons ne lui cèdent en rien. C’est ainsi qu’après m’être trouvé si longtemps éloigné de tout Européen, ce voyage devient pour moi une véritable fête. Le lendemain matin je visite notre navire : il est presque neuf et merveilleusement installé ; l’équipage se compose de Japonais, autant dire d’excellents marins ; tout est donc pour le mieux. Nous suivons à peu de distance la côte coréenne, formée par une suite de collines se succédant parallèlement entre elles et au rivage ; elles sont en général peu élevées, mais très agréablement découpées. Soudain tout disparaît, nous sommes en pleine brume et devons bientôt nous arrêter, dans la crainte de buter contre un îlot qui sert de repère pour la navigation. La mer est unie comme un miroir, pas la moindre brise ; prisonniers de l’épais brouillard, c’est seulement au bout de seize heures que le vent, venant à souffler, dégage l’atmosphère, nous recouvrons enfin la liberté. Le point reconnu, le navire prend rapidement la route de Gen--