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est échue, mais à M. Bieule, gouverneur par intérim de l’île de Saghaline, qui va rejoindre son poste avec sa femme. Il est accompagné de son frère et de trois employés. Tous, de même que les officiers du bord, sont en uniforme. Les uns et les autres parlent très bien français, et se montrent fort aimables à notre égard.

Dans toute l’étendue de l’empire, la casquette plate joue un grand rôle, sauf peut-être à Saint-Pétersbourg. C’est presque la seule coiffure admise. Un homme en chapeau produit à peu près le même effet qu’un individu en casquette sur un boulevard de Paris. J’en ai bien une, achetée au Japon, mais elle est molle et n’a pas la forme voulue. Je l’ai amèrement regretté toutes les fois que j’ai eu à faire des visites officielles.

Les employés, civils ou militaires, portent au-dessus de la visière une petite cocarde en métal, ovale pour les premiers et ronde pour les autres.

Le Vladivostok fait un service rude. C’est lui qui est chargé d’aller au Kamtchatka et dans la mer d’Okhotsk ravitailler les postes. Il revient avec un chargement de fourrures précieuses, loutres, zibelines et autres. Le commerce des loutres est un monopole de l’État, et il est presque impossible à un simple particulier de s’en procurer. C’est à Pétropavlovsk, sur la côte sud-est de la presqu’île de Kamtchatka, qu’est le centre des affaires. C’est à que l’on vient s’approvisionner de tout. Mais l’argent est rarement employé dans les transactions, qui s’opèrent au moyen d’échanges. On donne, par exemple, un bidon de pétrole pour une peau de zibeline ; de même qu’en Mongolie on achète un mouton pour une poignée de feuilles de thé. Les indigènes sont fort paresseux. Ils ne travaillent que quand ils ne peuvent pas faire autrement. Le poisson pullule dans ces parages, et ils ne se livrent pour ainsi dire pas à la pêche.

La cuisine du Vladivostok est très soignée. Les zakouskas sont délicieuses. Elles se composent de caviar exquis, de harengs à la saumure, de sardines fumées à l’huile, de poissons salés et crus, de cèpes conservés dans le sel, etc., toutes choses propres à exciter l’appétit. On nous sert du vin de Crimée fort bon.

Vers 5 heures du soir, un brouillard intense apparaît à l’horizon. Il avance vers nous avec vitesse. Nous prenons nos précautions, car nous nous attendons à un coup de vent. Il arrive en effet très fort du nord, accompagné d’une grosse pluie, et cesse au bout de dix minutes.

12 juin. — À midi, il ne fait que 6 degrés au-dessus de zéro. Vers Je soir, nous voyons des albatros. Ces gigantesques oiseaux me rappellent le cap de Bonne-Espérance et mon premier voyage en Chine, en 1869, sur un navire à voiles de 340 tonnes, la Belle Justine. Puis voici des phoques : on dirait de loin des hommes à la nage ; enfin une très grosse baleine.

Dans la nuit, Le brouillard nous enveloppe. Vers 9 heures nous savons que nous sommes près de terre, mais il nous est impossible de voir le phare. Nous sifflons, tirons le canon, faisons machine en arrière, en avant. Personne ne peut dormir à bord.

Le matin le brouillard se dissipe, et à 9 heures et demie nous mouillons devant Alexandrevsk, capitale de Saghaline.

À peu de distance de l’endroit où nous avons jeté l’ancre, trois énormes rochers pointus émergent des flots. Ils sont en ligne et assez éloignés du rivage. C’est un écueil fort dangereux pour les navires. On a donné à ce récit le nom des « Trois Frères ».


Charles Vapereau


(La suite à la prochaine livraison.)


GROUPE DE CORÉENS[1] (PAGE 193).
  1. Gravure de Bazin, d’après une photographie.