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LA ROUTE[1].

Une seule fois dans tout Le voyage, on nous à proposé du bouillon de mouton. Nous avons accepté avec empressement et nous nous sommes mis à able. On apporta une soupière fumante. Elle était pleine d’un liquide absolument blanc sur lequel nageaient des morceaux de graisse de mouton, sans la moindre parcelle de chair. On dit que les Cosaques mangent de la chandelle : ce n’était pas de la chandelle, mais peu s’en fallait. Ce que c’est que la famine ! nous avons bu ce bouillon.

À une heure nous entrons dans la cour de l’hôtel de l’Europe, à Tomsk, où nous trouvons, dans une bonne chambre, deux sofas sur lesquels nous placerons nos matelas. Nous voyons sur une pancarte qu’on peut, pour une trentaine de kopeks, obtenir un drap et une taie d’oreiller. Qui se serait attendu à pareil luxe dans un pays où les routes sont en si mauvais état ?

En somme, de Stretinsk à Tomsk, en comptant le petit détour pour aller visiter les mines d’or, nous avons franchi dans notre tarantass 2 813 verstes, soit 3 015 kilomètres, changé 115 fois de yemchtchik, et employé 410 chevaux environ.

À une altitude de 92 mètres, Tomsk a été fondé en 1604, sur le flanc de la colline qui domine la rive droite de la rivière Tom. Les rues y sont moins larges que dans les villes plus nouvelles de la Sibérie, mais les maisons y ont un aspect plus européen. On y voit moins de constructions simplement en bois.

Notre premier soin est d’envoyer un garçon de l’hôtel à la poste chercher nos lettres ; il revient bientôt, nous disant qu’il n’y en a pas. L’absence de nouvelles, quelque pénible qu’elle soit, est un mécompte auquel il faut s’attendre en voyage, sans s’inquiéter outre mesure.

À deux pas du télégraphe, où, par parenthèse, je ne puis me faire comprendre qu’en allemand ou en russe, est l’établissement de bains. Nous y allons, suivis de Hane, auquel une opération de ce genre ne fera pas moins de bien qu’à nous. Les bains russes ont été trop souvent décrits pour que j’entre ici dans des détails. Qu’il me suffise de dire que l’établissement dans lequel nous entrons est propre et bien tenu. Il y a plusieurs chambres séparées, munies d’une seule baignoire, mais dans laquelle on ne peut, comme chez nous, renouveler l’eau à volonté. J’ai quelque peine à faire admettre qu’une seule chambre est insuffisante pour nous trois.

La malle que nous avions attachée derrière le tarantass n’a pas été volée, mais elle a besoin de réparations aux charnières. Nous sommes heureux de la retrouver, elle suffit amplement à notre garde-robe bien modeste maintenant, Un des grands ennuis en voyage, c’est le blanchissage ; mais nous avons trouvé le moyen de nous en

  1. Dessin de Boudier, d’après une photographie.