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Page:Le Voleur illustré, année 61, tome 40, numéro 1621, 1888.djvu/8

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était touché au-dessous du mollet gauche, atteignit M. Boulanger à l’index de la main droite. L’épée de M. Floquet tomba pendant que le général touchait lui-même la terre du genou. Bien que, d’après la vieille tradition du combat, le désarmement doive mettre fin à la rencontre, il y eut, sur le désir du général, un second engagement. Les épées fort abîmées furent changées et celles de M. Floquet furent remplacées par celles qu’avaient apportées le général. M. Floquet à cette seconde reprise rompit tandis que le général l’attaquait très vigoureusement. Après plusieurs secondes d’attaques, de parades et de ripostes précipitées, M. Floquet avait le pied sur le rebord du taillis qui se trouvait derrière lui et son coude se trouva arrêtée dans le feuillage. À cet instant il fut piqué au niveau du sein droit et à la main gauche.

Le général dans un mouvement très fougueux se jeta alors sur l’épée de son adversaire et la lame pénétra entre la carotide et la jugulaire, au-dessous du cou, un peu à droite. Au même instant, raconte le Figaro, le général tentait de retirer avec la main gauche l’épée restée dans la plaie. M. Clemenceau lui dit alors : « Mais général, vous vous servez de la main gauche » et aussitôt il ajoutait : « Ah pardon, vous êtes blessé, je n’avais pas vu, je comprends, et je demande que mon observation ne figure même pas au procès-verbal. »

Pendant que l’on pansait sur place les blessures de M. Floquet, le général était emmené à l’intérieur de l’habitation.

Sa blessure, assez grave pour inspirer des craintes à ses amis, pendant les premiers jours, est aujourd’hui complètement guérie, et à l’heure où nous écrivons le général est en pleine convalescence.

Mais il s’en est fallu de bien peu que le vendredi 15 juillet, comme l’ont fait remarquer les gens superstitieux, ne coûtât cher au général Boulanger.

Pour être conséquent avec lui-même, le parquet aurait été obligé de poursuivre M. Floquet, et c’eût été un spectacle bizarre qu’un président du Conseil des ministres, chargé de faire respecter la loi, assis entre deux gendarmes sur un banc de la cour d’assises.

— Pardon, c’est lui qu’a commencé par porter la main sur moi, m’sieu d’Hervincourt…

— Pour vous retenir et dégager Mme la préfète. Et vous le traitez de propre à rien, de feignant, canaille, crapule… tous les mots de votre joli vocabulaire !

— J’avais peut-être bu un petit coup de trop, ce jour-là… c’est possible, mon président !

— C’est même certain : vous étiez ivre à ne pas vous tenir debout ».

Et le tribunal ayant octroyé à Césarin quatre mois de prison :

« Quatre mois ! C’est justement la quantité que je désirais, m’sieu d’Hervincourt ! V’s êtes bin aimable ! Merci bien ! À la prochaine, m’sieu d’Hervincourt, et à charge de revanche ! Vive l’empereur !!! »

Césarin, qui, à l’exemple d’un autre joyeux luron et intrépide buveur,

… Vescut sans nul pensement,
Se laissant aller doucement,
À la bonne loy naturelle,