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Page:Le Voleur illustré, année 61, tome 40, numéro 1621, 1888.djvu/9

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est mort l’an passé à l’hôpital de Bar-le-Duc, et, d’après certains on-dit, cette mort serait due moins à l’âge et aux infirmités qu’à une atteinte portée à ce vieux renom de probité dont il était si fier.

Comme bon nombre de besogneux et claque-dents, Césarin avait ses bienfaiteurs attitrés, chez qui il se présentait à jours fixes. C’est ainsi que chaque jeudi matin il n’avait qu’à sonner à la porte de Mme veuve… — appelons-la Mme Lefèvre — pour recevoir soit un quignon de pain et quelques rogatons, soit une pièce de deux sous.

Un jeudi de novembre, voyant la porte grande ouverte, il jugea inutile de tirer le pied de biche de la sonnette et s’avança lentement, en frappant sur les dalles avec son bâton, pour annoncer sa présence, jusqu’à l’extrémité du corridor, au seuil de la cuisine.

C’est à cette place que Mme Lefèvre, après une courte absence faite dans le voisinage, le trouva. Il attendait patiemment et placidement qu’elle voulût bien se montrer. Elle fouilla dans sa poche et lui donna ses deux sous habituels.

« En vous remerciant mille et mille fois, m’ame Lefèvre. À jeudi ! Vot’ serviteur !

— Oui, à jeudi. Au revoir, Césarin. Tirez la porte, n’est-ce pas, en vous en allant ?

— N’manquerai pas ! Bien le bonjour, m’ame Lefèvre ! »

Quelques heures plus tard, en ouvrant la grande armoire qui occupait tout un panneau de sa cuisine, et où elle serrait à la fois son linge, ses robes et une partie de ses provisions, Mme Lefèvre s’aperçut que sa bourse — une antique petite pochette de cuir, en forme de blague à tabac, qu’elle avait toujours soin de glisser sous une pile de draps — avait disparu. Voilà la brave dame aux cents coups ! Elle se précipite hors de chez elle, tombe chez ses voisins et leur conte la chose.

« Il n’y a que Césarin qui soit entré chez vous. Nous n’avons vu que lui…

— Et je l’ai surpris dans ma cuisine !… Ce ne peut être que lui… Pour sûr, c’est lui !… »

Et, vite, de courir chez M. le commissaire et de déposer une plainte contre le vieux loqueteux.

Précisément, ce jour-là Césarin avait eu la bonne aubaine de rencontrer un commis-voyageur qui l’avait chargé de différentes courses, entre autres du transport de ses bagages à la gare, et lui avait généreusement alloué pour sa peine trois pièces de vingt sous. Ces trois francs, Césarin s’était naturellement empressé de les verser à ce qu’il nommait ironiquement et de si bon cœur ses caisses d’épargne, c’est-à-dire dans les auberges et débits de vin échelonnés le long du faubourg de Marbot, et, le soir venu, il zigzaguait, chamboulait et vociférait mieux que jamais à travers les rues. Un agent de police, peut-être ce même Simonnot, le susdit vilain merle avec qui il avait eu tant et tant de fois maille à partir, le ramassa auprès d’une trappe de cave, qu’il s’obstinait à prendre pour son lit, et le traîna cahin-caha au violon.

Le lendemain, redevenu maître de lui, calme et dispos, Césarin recevait avis des soupçons qui pesaient sur lui, de l’infamante accusation portée par Mme Lefèvre. Il protesta, jura ses grands dieux qu’il y avait erreur, qu’il était innocent, cria, s’emporta, se débattit comme un diable. M. le commissaire, devant les déclarations des détaillants de Marbot, qui — indice grave — avaient vu entre les mains de Césarin plusieurs pièces blanches, avertit le procureur de la République et fit