Aller au contenu

Page:Le Voyage des princes fortunez - Beroalde, 1610.pdf/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
80
Le uoyage des Princes


cognoiſſantes, à ſe tenir en leur deuoir par la punition que ie feray de voſtre audace : Cela dit, il la fit deſpouiller, & en cotte lier pieds & mains, & porter bien auant en la foreſt, lui meſme la voulut voir expoſer en ce lieu eſloigné, & eſtant là poſee il lui dit, Sois là tant que ta fortune t’engloutiſſe, & temeraire reçoy le ſalaire de ton impudence, que les ours, les loups, & les lions chaſtieront. Et en ce courroux l’Empereur ſe retira. Ceux qui virent ceſte prompte & ineſperee diſgrace, entendirent bien que le naturel des Princes ſouuerains eſt, d’eſtre lions, auſquels il ne ſe faut pas iouër : d’autant qu’ils ſcauent que tout leur eſt permis, & croyent tout leur eſtre deu, tels ſont les hommes qui ont domination, quand ils ſont pauures de ſageſſe, deſpoüillez de bonté, & nuds de la cognoiſſance de ſoymeſme. Il y eut beaucoup de larmes eſpandues pour ceſte pitié, & infinis ſouſpirs furent formez par la douleur que pluſieurs eurent, voyans ce deſaſtre tant contre toute apparence. Il n’y auoit aucun qui eut veu ou cognu Etherine, qui ne la regretaſt, & ne maudit l’indigne boutade de l’Empereur pour ſi friuole ſujet, & qui ne fit deschoir de ſa penſee la longue eſtime qu’on auoit eu de ſa ſageſſe. Helas ! la pauurette ſe trouua fort deſolee, ſe voyant en vne telle extremité, où fon cœur trop grand l’auoit laiſſé conduire : car elle ne voulut iamais ouurir la bouche, depuis que l’Empereur eut mal pris ſes paroles, ſa grādeur de courage lui fit maintenir ſa reſolution, pour vaincre fon ennuy, & bien que depiteuſement ſuporter en ſilence ceſte indignité : & pour faire paroiſtre (fi on y eut pris


garde)