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fortunez. Entreprise I.


ceſte ſorte, Helas ! pauure ame vagabonde, ie te prie aye mercy de moy, va en ton repos, & n’exerce aucune vengeance ſur mō corps : i’en pourſuy d’auantage à tirer de ma vie la punition que ie merite : car defia la peur que tu as aſſemblee en mon ame la fait aſſez mourir, acheue ta courſe, & ſois contente, tu verras bien toſt mon eſprit malheureux qui aura laiſſé ce miſerable corps. I’eſtois presque eſpouuanté de ce que i’oyois, & n’euſt eſté, que ie ſcay bien que les eſprits ſeparez n’ont plus de frequentatiō auec la chair, i’euſſe penſé eſtre hors de ce corps. Me raſſeurant & cognoiſsāt de plus en plus, celle que ie tenois, qui cſtoit la vieille Fee, ie pris occaſion en la menaçant de l’interroger de ce qui me vint en la penſee. La craintiue toute abbatuë de terreur ſe iette à genoux deuant moy, me ſuppliant auec abondance de larmes. Ceſte contenance me rendit certain de l’effroy & nyais eſpouuantement que pluſieurs prennent de ce qui n’a aucune puiſſance de nuire : alors la deſolee & eſperduë femme me confeſſa que quand ie deſieuné auec elle : elle auoit meſlé en mon vin l’eſſence de pauot Indique preparee ſans gouſt & odeur, n’ayant autre qualité que celle qui fait dormir, ſelon la practique faite au chaſteau d’Arandos, adiouſtant en ſon diſcours que le mauuais vouloir, & l’enuie qu’elle portoit à noſtre famille : pour ce que ſouuent il eſchet que les Rois en ſont, eſtoit cauſe qu’elle me vouloit exterminer, & faire perir par les dents du dragon, qu’elle diſoit m’auoir deuoré il y auoit longtemps, & qu’elle alloit en la grotte amasser mes os, ſcachant que le ſerpent n’y eſtoit plus,