Page:Le dictionnaire de l'Academie françoise, 1798 - T1, A-C.djvu/16

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vj DISCOURS

titre et sa valeur , comme chaque pièce de la monnoie d’un Peuple : il faut qu’en donnant ou en recevant un mot , on sache ce qu’on reçoit et ce qu’on donne , comme en donnant un écu ou un louis.

Qu’est - ce qui peut donner à tous les mots d’une Langue cette empreinte , qui en fixe et qui en constate la valeur , non pour quelques Écrivains seu- lement , mais pour tous ceux qui parlent et qui écrivent dans cette Langue ? Qui définira les mots pour toute une Nation , de manière que cette Nation sanctionne ces définitions en les adoptant , et ne s’en écarte point dans l’usage des mots ?

Je réponds qu’un bon Dictionnaire peut , seul , donner à une Nation ces lois de la parole , plus importantes , peut-être , que les lois même de l’organisation sociale ; et qu’un Dictionnaire , pour exercer cette espèce d’autorité législative , doit être fait par des hommes qui auront , à la fois , l’autorité des lumières auprès des esprits éclairés , et l’autorité de certaines distinctions littéraires auprès de la Nation entière.

Ces distinctions , les Membres de l’Académie Françoise les avoient reçues avec le titre même d’Académicien : et s’il falloit chercher des preuves de l’espèce de puissance littéraire que l’Académie Françoise a exercée sur la France , on en trouveroit dans les efforts même qu’on a toujours faits pour contester cette puissance , pour la nier ou pour la renverser : il faut être très - puissant pour faire le mal dont on l’a accusée, comme pour faire le bien dont on l’a louée. Mais , cette autre autorité , l’autorité plus légitime des lumières , étoit-elle dans l’Académie et dans ses Membres ? Une réponse absolue est ici impossible : il faut distinguer les temps; et cette distinction , au lieu d’une réponse , qui n’eût été qu’à demi vraie , nous donnera deux réponses , entièrement vraies toutes les deux. A sa naissance et long - temps après , l’Académie Françoise fut composée de trois espèces d’hommes , qui avoient assez peu de rapports les uns avec les autres , et qui , tous ensemble , n’en avoient pas beaucoup avec le travail d’un Dictionnaire. C’étoient , en très - grand nombre , de beaux - esprits , comme Cotin / qui , n’ayant point de pensées , cherchoient des tours , et en trouvoient de ridicules ; et un grand nombre d’Amateurs des Lettres plutôt que de Littérateurs , qui , n’écrivant point eux - mêmes , se constituoient lecteurs et juges de tout ce qu’on écrivoit , comme Conrard , et cinq à six hommes supérieurs , de ces génies éminens qui créent , pour leur Langue et pour leur Nation, les modèles de la Poésie et de l’Éloquence; comme les Corneille et les Bossuet. De ces trois espèces d’Académiciens , les derniers , ces esprits créateurs , ont été , peut - être , ceux qui ont le moins travaillé au Dictionnaire , et qui y étoient les moins propres. Dans leur sublime essor , occupés à enrichir les mots de nouvelles acceptions , ils ne pouvoient rabaisser leur génie à la recherche et à la définition des