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PRÉFACE. xi

que l'esprit particulier de chaque nation. Parvenus à leur perfection, c'est-à-dire au degré de développement qui maintient et fait valoir leur identité première, ces idiomes ne se précipitent pas d'un seul coup vers la décadence. Ils changent sans cesse sur quelques points. Car, comme l'a dit Varron, en fait de langue, l'usage est toujours en route : omnis consuetudo loquendi in motu est. Mais ce mouvement parfois remonte, ou se détourne d'une fausse route, pour en chercher une autre. Parfois, c'est l'innovation vicieuse qui est changée ; c'est au goût du naturel et du vrai qu'on essaye de ramener le langage, sauf une condition seulement, qui se remarque aussi dans les arts du dessin, et qui ne permet pas que le retour à l'école antique soit jamais simple et gracieux comme elle.

De même, pour la propriété, le goût, l'harmonie, cette arrière-saison des langues ne vaudra jamais leur jeunesse et leur maturité ; et quoi qu'en ait dit Horace, dans sa riante comparaison :

Ut silvae foliis pronos mutantur in annos,
Prima cadunt : ita verborum vetus interit aetas.


si le feuillage change et renaît, la tige à la longue se dessèche et s'appauvrit. Ainsi, au milieu de ces alternatives, de ces flux et reflux de l'usage, le déclin, ou, si l'on veut, la décomposition des idiomes, de temps en temps suspendue, reprend son cours et s'achève. Ils deviennent tout autres qu'ils n'étaient. On comprend encore leurs anciennes formes ; mais on ne sait plus les égaler, ni les reproduire. Cette altération du langage s'est rencontrée même sans les causes qui hâtent la barbarie et le déclin social. Les idiomes cessent de vibrer pour l'imagination et le goût, lorsqu'ils servent encore à la civilisation et à la vie. Ils meurent enfin, comme les hommes, ils meurent avant l'extinction même des races qui les ont parlés. Ou quelquefois, comme nous l'avons vu pour la langue grecque, à demi conservés par un reste de peuple, abaissés comme lui, et devenus le patois de son esclavage, ils lui tiennent lieu de patrie, et le font vivre encore jusqu'à sa délivrance, sauf à changer avec lui, s'il redevient un peuple heureux et libre. Ce n'est pas tout. L'érudition moderne nous atteste que, dans une contrée de l'immobile Orient, où nulle invasion n'a pénétré, où nulle barbarie n'a prévalu, une langue parvenue à sa perfection s'est déconstruite[1] et altérée d'elle-même, par la seule loi de changement, naturelle à l'esprit humain.

Mais l'idée d'une telle décadence ne se présente pas à l'esprit des nations, dans les premiers beaux jours de leur éclat littéraire, lorsqu'après une barbarie plus ou moins longue, elles commencent à goûter vivement le charme des beaux-arts, à s'enivrer de poésie et d'éloquence. Un siècle semblable rêve

  1. Schlegel, Observations sur la langue et la littérature provençales.