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x PRÉFACE

époques, bien d'autres beautés de langage : mais il n'en est pas moins vrai que lorsqu'un idiome, longtemps parlé, longtemps écrit, a épuisé les combinaisons les plus naturelles de l'art de s'exprimer, une corruption du langage est inévitable.

Tout amène ce changement, l'inertie sociale, comme les révolutions, les idées nouvelles, comme le défaut d'idées. Car une langue, c'est la forme apparente et visible de l'esprit d'un peuple ; et lorsque trop d'idées étrangères à ce peuple entrent à la fois dans cette forme, elles la brisent et la décomposent ; et, à la place d'une physionomie nationale et caractérisée, vous avez quelque chose d'indécis et de cosmopolite.

Ce résultat n'est pas toujours sensible pour les contemporains, pour ceux qui l'opèrent et l'éprouvent ; mais, à distance, et au point de vue de l'histoire, on peut remarquer à quelle époque un peuple perd l'originalité de son caractère et la pureté de sa langue. Cela ne nous échappe pas dans l'étude des langues anciennes. Tout en les sachant moins bien que la nôtre, comme nous les savons par comparaison et non par habitude, nous y discernons nettement les âges divers de la perfection et de la décadence. Nous y reconnaissons le secours qu'un idiome dans son âge adulte prête à la pensée, et comment, à mesure qu'il vieillit ou s'altère par des mélanges, la pensée devient plus subtile et plus laborieuse. Rien n'arrête tout à fait ce déclin de l'éloquence dans un dialecte usé, ni la supériorité de l'écrivain, ni la grandeur ou la nouveauté des intérêts qu'il défend. Saint Augustin avait autant d'esprit et de verve oratoire que Cicéron ; Tertullien n'avait pas naturellement l'imagination moins nerveuse et moins colorée que Tacite : et cependant, par l'influence d'une langue gâtée comme la littérature de leur temps, Augustin et Tertullien ne paraissent souvent que des génies sans goût, et d'éloquents barbares.

Mais serait-il vrai que ce déclin des idiomes, certainement inévitable, soit toujours également rapide, que rien ne puisse retarder la décadence, et qu'elle n'ait pas des stations et des retours ? Comment se concilierait une pareille idée avec l'espoir du progrès de l'esprit humain ? et n'est-elle pas démentie par les faits mêmes ? Après les grands siècles des lettres, n'a-t-on pas vu, plusieurs fois, à une époque de faux goût et d'insipidité succéder un temps meilleur ? L'Italie, après la précoce maturité de son quatorzième siècle, n'a-t-elle pas retrouvé un second âge de langue classique et de génie, et retombée de nouveau, ne s'est-elle pas de nouveau relevée ? Un certain terme passé, y a-t-il, dans la durée seule du temps, un principe de décadence ? ne serait-il pas contradictoire de le supposer, quand la civilisation, loin de s'arrêter, se développe encore, quand un plus grand nombre d'esprits est appelé à ses bienfaits, et que le talent se prélève non dans un cercle restreint, mais sur un peuple entier qui s'éclaire ?

Nous ne contredisons aucune de ces espérances. On a dit de l'esprit humain, dans son ensemble, qu'il avançait en spirale. Cette voie est assez semblable à la pente inégale par laquelle marchent et déclinent les idiomes vivants, qui ne sont