Page:Le dictionnaire de l'Academie françoise, 1835, T1, A-H.djvu/20

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xiv PRÉFACE.


Venue en France quelques années après, elle traversa d'abord Paris si vite qu'elle n'eut que le temps de recevoir quelques érudits célèbres, et d'être haranguée dans son palais, par Patru, au nom de l'Académie. Mais, à son second voyage, en 1658, elle voulut à son tour visiter l'Académie, et la surprendre au milieu d'une séance ordinaire : elle arriva presque sans appareil dans la salle, où le chancelier Seguier, averti le matin, avait fait placer quelques ornements à la hâte, en n'oubliant, par malheur, que le portrait de la princesse. Il y eut d'abord quelque difficulté pour savoir si l'Académie serait assise ou debout devant elle. Mais quelqu'un se souvint que, dans les assemblées de gens de lettres et de beaux esprits qui se tenaient du temps de Charles IX, et où ce prince alla plusieurs fois, tout le monde était assis et couvert devant le roi. On s'assit donc, et après quelques compliments, comme Chapelain était absent, l'abbé Cotin lut des vers qui furent trouvés fort beaux. C'était une traduction de deux passages de Lucrèce contre la Providence, et sur la formation du monde par les atomes ; puis vinrent quelques sonnets, deux ou trois madrigaux, récités par de Boisrobert, et une traduction élégante des vers de Catulle, amemus, mea Lesbia, que lut Pellisson, et qui plut fort à la reine.

Ensuite, pour donner une idée des travaux sérieux de l'Académie, « Le directeur dit à la reine, raconte l'académicien Patru, que, si Sa Majesté l'avait pour agréable, on lui lirait un cahier du Dictionnaire. - Fort volontiers, dit-elle. - M. de Mézeray lut donc le mot Jeu, où, entre autres façons de parler proverbiales, il y avait jeux de princes, qui ne plaisent qu'à ceux qui les font ; pour dire une malignité, une violence, faite par quelqu'un qui est en puissance : elle se mit à rire. On acheva le mot qui était au net, où pourtant il y avait bien des choses à dire[1]. » Suivant un autre récit, plus authentique, la reine de Suède, en écoutant la définition de Mézeray, rougit et parut émue ; mais voyant qu'on avait les yeux sur elle, elle s'efforça de rire, plutôt d'un rire de dépit que de joie. Le Dictionnaire venait de lui rappeler ce que, trois mois auparavant, elle avait fait à Fontainebleau, et quel sanglant jeu de prince elle y laissa sur son passage.

Du reste, pour cette femme d'un esprit si ferme, et viril jusqu'au crime, pour cette reine savante et sceptique, accoutumée dans ses entretiens aux controverses de Saumaise et de Bochart, aux découvertes de Meibomius, à la philosophie de Descartes, il ne devait y avoir qu'un intérêt médiocre dans une académie exclusivement occupée de la langue. La reine, plus choquée du manque d'érudition que du défaut de goût, s'étonna seulement de ne pas voir à l'Académie le docte Ménage.

On se plaignait dès lors, en effet, que l'Académie avait conçu le plan de son Dictionnaire sous une forme trop frivole et trop peu savante ; qu'elle n'y mettait

  1. Patru, OEuvres diverses, t. Il, p. 322.