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xvi PRÉFACE.

tendait vers ce niveau des esprits. Nous nous en sommes encore plus rapprochés : c'est la civilisation.

Il n'en était pas ainsi dans un temps où la société, encore séparée en classes et en professions très-distinctes, ingénieuse et forte au sommet, était pleine de diversités de moeurs, de coutumes et de langage. Écrire pour le public était alors un soin sérieux qu'on remplissait quelquefois par devoir de profession, ou une ambition extraordinaire à laquelle, avec ou sans talent, on se préparait par de grandes études. Puis, en dehors de ces hommes éloquents et graves, ou de ces studieux lettrés, il y avait une foule d'esprits cultivés et polis, qui, sans rien écrire, animaient les entretiens de la ville et de la cour. Au dix-huitième siècle, l'aristocratie de l'intelligence fut toute dans les écrivains ; mais dans l'âge précédent, tel que nous l'a décrit Voltaire, tel qu'on le surprend mieux encore dans les Mémoires, la cour de Louis XIV et tout ce qui venait s'y réunir, attiré par l'éclat du prince, offrait au plus haut degré ce charme et cette puissance de l'esprit qui marquaient en même temps le soudain progrès des lettres.

Ce n'était pas une illusion de flatterie que la supériorité et la grâce attribuées à ces entretiens de Versailles, où Louis XIV portait la noble précision de ses paroles, où tant de femmes si belles étaient admirées pour leur esprit, où l'auteur des Maximes, le philosophe de la Fronde, la Rochefoucauld paraissait quelquefois, où Molière était de service, où Grammont causait comme écrit Hamilton, où Bossuet, Fleury, la Bruyère, conversant à part dans l' Allée des philosophes, étaient rejoints par Condé, où Fénelon était maître de l'oreille et du cœur de tous ceux qui l'écoutaient, et où, sous la physionomie attentive d'un duc, assidu courtisan, se cachait, avec ses Mémoires longtemps inédits, l'incorrect mais unique rival de Tacite et de Bossuet.

On conçoit sans peine que cette cour, qui semblait avoir transformé en élégance et en bon goût toute la vigueur des grandes familles du seizième siècle, eût beaucoup d'influence sur l'esprit de la nation, et qu'on se piquât d'en imiter les usages. De là cette déférence des critiques du temps pour ce qu'ils appellent le langage de la cour. Nous savons bien qu'on a depuis accusé ce langage d'être pauvre, dédaigneux, courtisanesque, et d'avoir nui au génie même de nos écrivains, bien que nous ne concevions pas comment Sévigné aurait pu être plus spirituelle et plus vive, Racine plus éloquent, Bossuet plus original et plus sublime. Mais enfin la plainte a été faite ; et on doit avouer que le goût de Versailles était celui d'une élite d'esprits nobles et cultivés, mais qu'il y manquait le battement de cœur d'un grand peuple.

Peut-être même cette autorité souveraine du goût et du langage de la cour eût été moins heureuse pour les arts, si elle n'avait été mélangée et combattue par une autre influence, qui tenait à l'esprit du même temps, celle des controverses religieuses. Ce fut là, pour l'esprit de la nation, une plus sévère école, d'où sortaient le sérieux, la simplicité, la liberté du langage. Après la cour, après les