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PRÉFACE. xix

blir, aussi bien que de les régler, n'a jamais été disputé à la multitude, aimait à voir dans l'Académie “ un Conseil souverain et perpétuel, dont le crédit, établi sur l'approbation publique, peut réprimer les bizarreries de l'usage, et tempérer les déréglements de cet empire trop populaire. ” Cette même idée, dans le siècle suivant et dans un autre pays, faisait souhaiter à un esprit moins grave que Bossuet, au capricieux Swift, l'établissement d'une académie qui pût contenir et fixer la langue anglaise, écarter beaucoup de termes, en corriger d'autres, en raviver quelques-uns. Il faut, disait-il, « qu'aucun des mots auxquels cette société aura donné sa sanction, ne puisse, dans la suite, vieillir et être rejeté[1]. » Bossuet et Swift oubliaient seulement que le conseil suprême de censure grammaticale changerait, comme le public, et qu'à la longue les modérateurs de l'usage y céderaient eux-mêmes.

Quoi qu'il en soit, l'Académie française continua d'exercer avec une assez grande réserve son pouvoir constituant ; et le Dictionnaire, fait et recommencé pendant que tout le monde faisait la langue, fut enfin publié, avant le terme du dix-septième siècle.

Sans étymologies étrangères, et avec la seule indication des termes anciens de notre langue qui ont péri en laissant leurs dérivés, cette édition de 1694, où les mots sont rangés par ordre de racines, comme dans le lexique grec d'Henri Estienne, doit paraître incomplète et peu commode. Elle n'en est pas moins un témoignage unique pour l'histoire de notre langue, et le supplément nécessaire des bons livres à qui veut bien connaître son génie. On n'y retrouve pas les hardiesses d'expressions et de tours, les beautés de langage que créaient nos grands écrivains ; mais on y voit le fond commun sur lequel ils travaillaient de génie, le bloc où ils taillaient leurs statues grecques.

Cette langue, prise dans toute son étendue, entre l'usage de la cour et les proverbes populaires, atteste au plus haut degré une nation vive, ingénieuse, ayant plus de justesse que d'imagination, sociable, mais sans vie publique, très-occupée de religion, de guerre, de philosophie, de belles-lettres, mais médiocrement touchée des arts, et n'ayant encore que peu cultivé les sciences physiques.

Sur ce dernier point, en effet, son vocabulaire usuel est pauvre et restreint. Sans doute, il eût été facile de le grossir beaucoup par les nomenclatures techniques et les classifications de chaque science, telles qu'elles existaient alors : on sait que cette idée même fut l'occasion du schisme et des critiques de Furetière, qui en profitant du travail de l'Académie, l'ensevelit dans un Dictionnaire universel des sciences et des arts. Un écrivain de nos jours[2], savant philologue et brillant coloriste, a parfaitement justifié l'Académie de n'avoir pas compris

  1. A proposal for correcting, improving, and ascertaining the english tongue, in a Letter to the Lord high Treasurer.
  2. M. Nodier.