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xx PRÉFACE.

dans son recueil de la langue cette foule de termes techniques, dont Borel et Thomas Corneille firent alors des lexiques, maintenant oubliés. Ces nomenclatures, en effet, qui sont autant de langues particulières, changent de fond en comble, par le progrès même des sciences, et n'offriraient souvent aujourd'hui que la date inutile d'une erreur détruite, ou d'une ignorance qu'on n'a plus. La nomenclature médicale ou chimique du dix-septième siècle serait tout à fait dénuée pour nous de sens et d'usage, tandis que la langue littéraire de la même époque est un type immortel. Mais, à part cette question, l'Académie, moins hardie que nos grands écrivains, ou, si l'on veut, plus timide en masse que dans chacun de ses membres, n'avait-elle pas trop restreint les richesses de notre langue, trop ébranché le vieux chêne gaulois ?

On lit, dans les Factums satiriques de Furetière contre ses anciens confrères[1], que la Fontaine était fort assidu aux séances de l'Académie et à la discussion du Dictionnaire ; mais qu'il ne pouvait y faire admettre, par les plus sages de l'Académie, les mots de sa connaissance, ceux qu'il avait appris dans Marot et Rabelais. En faisant un partage de ces mots, et en concevant le scrupule qui en excluait quelques-uns, on peut regretter que la Fontaine n'ait pas eu plus de crédit à l'Académie, et que plusieurs façons de parler expressives, empruntées au vieux français, ne soient pas restées dans le Dictionnaire. Heureusement, la Fontaine les a mises dans ses ouvrages, où elles sont encore mieux, et où elles revivent.

La Bruyère et Fénelon paraissent croire que la langue de leur temps s'était trop épurée, avait rejeté trop d'anciens mots expressifs ; et l'Académie a été chargée de ce tort. Il ne faut pas oublier cependant que les mots qu'on regrette n'ont souvent d'autre grâce que la désuétude, que presque toujours ils ont été remplacés, et que surtout les réunir aujourd'hui pêle-mêle avec ceux qui les remplacent, ce serait ne parler la langue d'aucune époque, et chercher le naturel dans l'archaïsme. L'édition de 1694, d'ailleurs, renfermait des mots et des tours qui, vieillis même au seizième siècle[2], avaient reparu dans l'usage du siècle suivant, et se conservent dans le nôtre. Elle en accréditait aussi quelques-uns que la critique contemporaine relève comme inusités[3] ; par exemple, affectueux, amphibologique, et jusqu'à l'expression imitative de vent qui cingle.

On sait, au reste, que rien n'est plus trompeur que la date apparente des mots. Quelques-uns, dont il semble qu'on n'a jamais dû se passer, sont d'invention assez récente ; et quelques autres, dont l'idée, pour ainsi dire, n'existait pas dans les moeurs, ont reçu des écrivains une existence anticipée. Désintéressement, exactitude, sagacité, bravoure, ne furent rétablis ou introduits qu'assez tard dans le dix-septième siècle. Savoir-faire, selon le P. Bouhours, est un terme tout nou-

  1. Furetière, second Factum, p. 21.
  2. Du Bellay, Défense et illustration de la langue françoise. Voy. les mots ajourner, assener.
  3. Bibliothèque universelle et historique de J. le Clerc, t. III, p. 528.